Cinergie.be

Alice Godart et Géraldine Doignon : Formations contre les violences sexistes et sexuelles

Publié le 06/10/2022 par Fred Arends et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

Formations contre les violences sexistes et sexuelles et toutes les formes de discrimination dans l’audiovisuel belge francophone

L'association Paye ton tournage et le collectif Elles font des films initient une série d’actions visant à prévenir et agir contre les violences sexistes et sexuelles au travail, notamment à travers de formations qui s'adressent à l'ensemble des professionnel.le.s du cinéma et de l'audiovisuel. Rencontre avec Alice Godart pour Paye ton tournage et Géraldine Doignon pour Elles font des films.

Cinergie : Pouvez-vous nous expliquer les buts de votre association ?

Alice Godart : Paye ton tournage est une plateforme de recueil de témoignages anonymes qui existe depuis quatre ans. On l'a fondé à deux, en 2018. On reçoit les témoignages de tous les corps de métier du milieu du cinéma. Et on les publie sur internet et les réseaux sociaux. C'est une mise en commun qui permet de déceler des problèmes systémiques, de faire des statistiques. On propose aussi de faire un accompagnement, des conseils juridiques ou tout simplement un soutien ou une écoute aux victimes qui le souhaitent. En quatre ans, on en a reçu plus de cinq cents. 

Géraldine Doignon : Le collectif Elles font des films existe depuis cinq ans, il a été créé en juin 2017. Au départ, il rassemblait des réalisatrices, puis il s'est ouvert à toutes les techniciennes de l'audiovisuel belge francophone. La première volonté était une plus grande reconnaissance, une plus grande visibilité pour le travail des femmes. Et après se sont ajoutées aussi les personnes minorisées, les personnes sexisées, donc essayer d'ouvrir le champ à d'autres récits, d'autres manières de travailler ensemble. Il s'agit de conscientiser sur le manque de parité et de diversité dans notre secteur.

 

C. : Est-ce que Paye ton tournage a permis l'émergence de données statistiques et émotionnelles - via les témoignages - qui ont favorisé la création de ces formations ?  

A.G. : Oui bien sûr. Et à force de recevoir des témoignages, on a pu les classer et chercher des solutions, voir ce qui a été fait ailleurs, ce qui a été fait en France, au Canada, en Suède. Pour toutes ces violences qui commencent souvent par des blagues, par des choses anodines, on préconise des chartes dans les écoles et sur les tournages à signer au début de l'année ou du tournage, avec des références claires, des définitions et des sanctions en cas de non-application. On préconise une cellule d'écoute avec une personne extérieure au tournage ou à l'école et on préconise des formations. Ces formations contre les violences sexistes sont un premier pas mais comme il s'agit d'un problème systémique intersectionnel, il faudra que cela soit suivi de sensibilisations contre le racisme et toutes les formes de discrimination.

G.D. : En fait, le constat vient de deux éléments. D'abord, les témoignages et notre propre expérience. Moi-même quand j'étais à l'école, quand je travaillais à la télé, sur mes premiers tournages en tant qu'assistante réalisatrice, en tant que stagiaire, j'ai été confrontée très tôt et très jeune à tout ça et je suis loin d'être la seule. Notre expérience et ces témoignages du terrain font que c'est un truc assez énorme, une déferlante violente. Et l'autre chose est qu'aujourd'hui en Belgique, contrairement à d'autres pays, rien n'est fait. Il n'y a rien qui est mis en place pour lutter contre ces violences sexistes et sexuelles, et c'est la première fois qu'on bénéficie d'un subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour concrétiser un projet. Et on souhaiterait que le politique, l'institutionnel, le culturel, s'empare de ce que l'on fait, de ce que l'on initie d'autant qu'il s'agit de collectifs militants, bénévoles qui portent ces projets. Et il faudrait les instituer, qu'ils soient présents partout, dès les écoles. Car ces problèmes, on peut les identifier et les reconnaître très très tôt. Dans les écoles, les étudiants et étudiantes sont les professionnel.le.s de demain et il y a une vraie conscientisation chez elles et chez eux pour bouger. Mais c'est vraiment dur. Et on voudrait que les gens se rendent compte de notre lutte. Nous sommes un milieu professionnel comme un autre, il y a des conditions de travail qu'il faut protéger et il faut cesser cette impunité. Il y a une violence qui est connue de tous, que tout le monde reconnaît mais qui n'est pas du tout combattue.

 

C. : Pensez-vous que dans la suite du mouvement #Metoo, de la libération de la parole des femmes et des mouvements de protestation et de lutte, votre projet s'inscrit dans une dynamique plus globale ? 

A.G.: Je ne pense pas du tout avoir participé à une libération de la parole car la parole était déjà là depuis plus de trente ans. Toutes les victimes qui ont témoigné sur Paye ton tournage ont d'abord témoigné auprès de la production ou de leurs collègues et n'ont pas été écoutées. En fait, cette parole est là, elle existe et il y a un réel problème dans le fait qu'il n'y ait pas de démarche politique. Certes, c'est partout dans les médias mais souvent mal traité et rien ne se passe. Les agresseurs continuent de recevoir des prix, à être dans des films. Comment vous expliquer qu'un Gérard Depardieu se retrouve à l'affiche de trois films par an alors qu'il est accusé de viol depuis 2018 ? C'est vraiment montrer que c'est pas grave, tant que ça fait de l'argent, tant que ça fait travailler des gens. Il y a donc une impunité totale et c'est lassant pour des militantes. On nous dit :  « Super, vous faites bouger les choses » mais nous n'avons pas le pouvoir de changer les choses. Tout ce qu'on peut est mettre en commun, alerter et concrètement, il faut de l'argent, il faut des mesures, parfois de la discrimination positive.

 

C. : Y-a-t-il des spécificités liés au milieu du cinéma ?  

G.D. : Nous avons identifier des facteurs de risque, très présents dans notre milieu comme par exemple la précarité de l'emploi, le fait qu'il y ait beaucoup d'argent en jeu, des rapports de domination, des rapports de pouvoir, une forte hiérarchie. C'est un petit milieu, tout le monde se connaît dans le cinéma belge. Il y a donc une pression ou en tous cas une peur de ne pas refuser un contrat par exemple. Et donc notre but est d'apporter un cadre légal, avec l'aide de juristes pour combattre ces violences.

A.G.: Car chaque remarque sexiste peut être du harcèlement et passible d'amende par le code pénal et le code du travail. En fait, on demande juste que la loi soit appliquée, que les victimes soit protégées et que l'impunité cesse.

 

C. : Il y a la loi et la loi du milieu si on peut dire...

A.G.: Oui et le cinéma a un rapport ambigu avec la loi, on va tourner sans ceinture de sécurité, on ne va pas respecter la loi car bon, on fait des films, on est des artistes. Il y a une sorte de passe-droit dans le cinéma qui fait que concernant les violences sexuelles, on va parler de zone grise alors que ce n'est pas du tout une zone grise, c'est soit passible d'amende, soit pas en fait.

 

C. : Il y a aussi le côté romantique du cinéma, on fait cela pour l'art, et les rapports souvent ambigus entre un metteur en scène et son actrice par exemple...

A.G. : Oui et d'autant pour les actrices qui sont vraiment des objets de désir et pour qui c'est souvent violent mais on parle aussi des techniciennes souvent seules dans des équipes d'hommes, qui sont moins nombreuses en cheffes de poste. Et on parle encore moins des femmes racisées qui sont évincées dès l'embauche.

G.D.  : Une étude qui sort en janvier et également portée par Elles font des films montre que les personnes minorisées disparaissent de la profession. Ce n'est pas une histoire de vocation ou d'envie de faire ce métier. La parité est dans les écoles mais on se rend compte que les femmes disparaissent de la profession, qu'elles n'accèdent pas aux postes cadres. Pourquoi font-elles des court-métrages et puis pas de long ? Pourquoi dès qu'il y a plus d'argent en jeu, il n'y a plus de femmes ? Notre but est de pouvoir offrir un lieu de travail plus sécurisant afin que ces personnes ne disparaissent pas. Et du coup forcément on se retrouve avec des équipes composées à 80% d'hommes, où il n'y que des récits d'hommes blancs...

A.G. : Et on ne dit pas que ces histoires ne doivent pas exister. Elles ne doivent pas être les seules.

 

C. : Pouvez-vous nous dire le contenu de ces formations ?

G.D. : On s'est beaucoup inspiré de ce qui se fait en France où le CNC a pris en charge des formations obligatoires, c'est important de le dire, donc les aides publiques sont conditionnées à la certification du suivi de ces formations. Ce n'est pas encore le cas en Belgique, c'est ce que l'on souhaiterait. Ces formations données par deux juristes expertes des violences faites aux femmes sont axées sur le cadre légal, la définition des termes, ce que l'on peut faire apparaître dans les contrats,... Il y a des formations destinées aux producteurs et productrices et des formations adressées à tous.tes les professionnel.le.s du secteur. L'idée est d'être dans la pratique : que peut-on faire quand est victime ou témoin de violence sexiste ? À qui parler? Comment communiquer sur ces violences ? Il y aura aussi une formation pour les référent.e.s. C'est donc un ensemble de ressources et d'outils pour aider les personnes, qu'elles soient victimes ou témoins.

A.G.: Et ces formations sont aussi des rappels basiques sur le fait que, par exemple, les blagues sexistes sont punissables par la loi. On ne parle pas spécialement de viol ou d'agression sexuelle aggravée même s'il y en a beaucoup, mais on parle de remarques sur le physique; ces blagues entretiennent la domination entre les hommes et les femmes, entre les personnes racisées et blanches, elles maintiennent les personnes dans des cases et empêchent les personnes minorisées de s'épanouir dans ce milieu.

G.D.: Il y a trois types de formations. Celle adressée aux producteur.trice.s, afin de responsabiliser légalement les employeur.se.s, ensuite il y a tous.tes les professionnel.le.s, du maquilleur.se au réalisateur.trice, des comédiens et comédiennes, etc..., il s'agit vraiment d'une sensibilisation axée sur des cas pratiques. La troisième formation s'adresse aux référent.e.s dans les équipes de tournage, un binôme qui puisse recueillir la parole, un témoignage lorsqu'il y a un abus.

Il y a un vrai travail sur les définitions dans ces formations, de la micro-agression à la violence aggravée et ces définitions sont reprises dans le code pénal sexuel récemment réformé et la notion de consentement est notamment mise au centre de ces lois. On parlera donc le même vocabulaire, on aura les mêmes définitions et la petite blague sexiste, le « C'est juste une blague » ne passera plus car on pourra poser des mots et même l'auteur de la blague va peut-être apprendre quelque chose, on peut l'espérer.

A.G. : Et on espère aussi que les personnes qui ont des responsabilités prennent conscience qu'elles ont un rôle à jouer sur leur tournage, dans leurs équipes, et qu'à un moment donné, il ne faut plus donner de travail à certaines personnes pour un cinéma plus accueillant, plus bienveillant.

www.ellesfontdesfilms.be

www.payetontournage.tumblr.com

Tout à propos de: