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Christophe Istace, Les Samedis du Ciné

Publié le 25/09/2023 par Malko Douglas Tolley et Cyril Desmet / Catégorie: Entrevue

L’asbl Loupiote est une asbl reconnue comme organisation de jeunesse au sein de la Fédération Wallonie Bruxelles. Composée d’une équipe de professionnels du cinéma et de pédagogues qui développent des ateliers itinérants d’éducation au et par le cinéma dans les milieux associatifs et scolaires. Elle a pour mission de sensibiliser les jeunes à une lecture critique du langage cinématographique et d’aiguiser leur regard sur les médias qu’ils consomment quotidiennement.

À l’occasion du lancement de la nouvelle saison des Samedis du Ciné qui fait la part belle au cinéma belge, Cinergie.be est allée à la rencontre de Christophe Istace. Relancé fin 2007 sous l’impulsion de l’ASBL Loupiote en partenariat avec l’ASBL Clap Education, « Les Samedis du Ciné » est un célèbre ciné-club social, familial et éducatif bruxellois qui propose, un samedi sur deux de la mi-septembre à la mi-juin, dès 10h30 du matin, 2 séances de cinéma en parallèle, séparant les enfants des adultes, dans 2 salles différentes du Cinéma Vendôme, le tout à un prix démocratique :  https://loupioteasbl.wordpress.com/les-samedis-du-cine/

Cinergie.be : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de Loupiote au début du 21e siècle il y a déjà près d’une vingtaine d’années déjà ?

Christophe Istace: Loupiote existe depuis 19 ans. On a créé ça avec un cameraman, un comédien et moi, réalisateur. De fil en aiguille, ça s’est développé, on a été reconnu comme organisation de jeunesse. On fait actuellement un travail principalement à destination de la jeunesse pour les jeunes de 5 à 25 ans. On a diversifié nos activités vers ce public-là.

 

C. : Avez-vous toujours eu la volonté de toucher la jeunesse ? Quelle était la visée initiale de Loupiote?

Ch. I. : Les jeunes étaient le public cible de Loupiote dès le départ puisque la première idée était de réaliser des courts-métrages pour les diffuser dans les écoles. Notre intention était de montrer aux jeunes qu’il y a des films plus proches d’eux réalisés par des Belges ou des personnes qui vivent en Belgique. L'idée est de les amener à se questionner sur eux-mêmes et ce qu’ils vivent au quotidien. Et ça semblait plus facile de le faire de cette manière qu’avec des productions outre-Atlantique qu’ils ont l’habitude de voir, mais qui restent parfois assez éloignées de leurs réalités à Bruxelles et en Belgique. Notre idée première était donc d’amener les jeunes à se questionner sur des thématiques de société qu’on vit en Belgique.

 

C. : Vous organisez plusieurs ateliers et stages en plus des diffusions dans le cadre des Samedis du Ciné. Quelle est la particularité de votre processus créatif ?

Ch. I. : En tant qu’organisation de jeunesse, on a imaginé un processus créatif au service des jeunes. Au cinéma, quelqu’un a une idée et puis il trouve des acteurs, il leur dit ensuite ce qu’ils doivent faire et ceux-ci peuvent amener des improvisations pour améliorer le scénario. Chez Loupiote, c’est différent. On a un groupe de jeunes, on ne sait pas de quoi on va parler et cinq jours plus tard, le film est tourné. Les premiers jours consistent donc à énormément d’improvisations sur des thèmes définis et proches des jeunes. On divise les jeunes en groupe  sur des thématiques similaires et ensuite on compare le résultat de chaque groupe. L'équipe de Loupiote composée de scénaristes et de réalisateurs va ensuite tisser un fil rouge entre les différentes improvisations des jeunes. On fait ensuite des propositions d’histoires. Ensuite on entre dans la dernière phase du projet et les derniers jours sont consacrés à la réalisation du film en tant que tel avec une équipe technique un peu plus solide (2 caméramans, un ingénieur son, etc.). Et durant le tournage, il n’y a pas de textes. On sait ce qui va se dérouler dans chacune des scènes, mais on ne va pas ennuyer les jeunes avec un texte écrit. Les jeunes sont dans une situation où ils vivent leurs vies de jeunes. Le fait de partir des jeunes en s’inspirant de leurs improvisations, ça donne un résultat très crédible et naturel qu’on obtient difficilement si l’on adopte un fonctionnement classique de cinéma.

 

C. : Pouvez-vous nous décrire un peu plus vos différentes activités à destination des jeunes, notamment celle en lien avec le harcèlement ?

Ch. I. : A la base, on avait mis en place les activités enfants et ados du ciné. C’est le concept où l’on visait à la création d’un court-métrage en tant qu’outil pédagogique à amener en classe. En faisant beaucoup d’improvisations et après avoir réalisé près de 80 projets avec des jeunes, on s’est rendu compte qu’on avait certains films qui fonctionnaient mieux que d’autres et que certains sujets de société étaient plus forts. On a décidé de mettre en place des activités sur ces thématiques importantes. Et ces thématiques, ce sont celles du harcèlement et de l’environnement.

On organise donc plus de 160 modules en lien avec le harcèlement et plus d’une quarantaine en lien avec l’écocitoyenneté dans les écoles chaque année (https://loupioteasbl.wordpress.com/outils-pedagogiques/).

Les modules sur la création de courts à mettre en place dans les écoles a de moins en moins sa place dans les classes. Les temps ont changé et les professeurs n’ont plus vraiment le temps pour ce type de projets. Par contre, si on peut les aider sur des thématiques importantes pour eux comme le harcèlement ou l’écologie, ils sont beaucoup plus demandeurs. On travaille également avec des Maisons de jeunes et des associations de jeunesse. Pour les projets créatifs, mieux vaut nous contacter une année à l’avance, mais pour des projets d’animation de deux heures, on peut se débrouiller pour être disponible. On a deux animatrices de terrain qui bossent en permanence sur la thématique du harcèlement, moi je me rends également dans des établissements pour celle de l’écocitoyenneté.

 

C. : Comment effectue-t-on la transition de métier de réalisateur à votre métier actuel de coordinateur, animateur et l’ensemble des tâches que vous accomplissez dans le cadre des activités de Loupiote?

Ch. I. : Je suis passé de la casquette de réalisateur à médiateur du cinéma. Un réalisateur, il crée son film et ensuite le film est au public. Mais de nos jours, le médiateur peut également avoir un rôle important en amenant le public, et en l’occurrence les enfants, à se questionner sur un film. On amène les enfants à la réflexion et à l’empathie.

Les enfants se rendent compte qu’il y a plusieurs visions du monde, plusieurs grilles de lecture à partir d’un même film ou support audiovisuel. Et ça s’est génial, car on voit les étincelles dans les yeux des enfants et on leur donne envie de revenir voir un film et participer à un débat. Et après 17 ans de Samedis du Ciné, on se rend compte que les enfants qui sont venus 20, 30 ou 40 fois à une séance dans leurs vies ont souvent une plus grande sensibilité au cinéma que d’autres enfants qui n’ont pas eu la même expérience.

 

C. : Comment faire pour amener les enfants à participer aux débats dans une salle de cinéma face à un public ?

Ch. I. : Les enfants ont toujours envie de parler, mais il faut les accompagner. Il y a une salle et c’est impressionnant. Il faut les prévenir par exemple que leur voix au micro et dans un baffle ne sonnera pas de la même manière que quand ils s’entendent parler. Si on accueille les enfants avec bienveillance et écoute, qu’on les encourage et qu’on accepte tous les points de vue, c’est super intéressant et ils sont plus enclins à y participer. Chacun reçoit un film selon son vécu. Chacun a une perception différente des films. Et on leur explique que c’est normal et que c’est bien. On fait tout pour ouvrir la parole. Le film amène une catharsis sur une thématique, mais les enfants parlent d’eux-mêmes grâce au film. Et c’est génial ça, on adore quand un film permet à un enfant de parler de lui et de ses ressentis. 

 

Cinergie.be : En quoi la thématique de l’enfermement est-elle importante pour les jeunes et les familles ?

Ch. I. : La thématique de l’enfermement multiple est présente dans les 6 prochains films de la programmation jusque décembre, car il s’agit d’une problématique importante. Dans l’enfermement, on entend un "enfer" qui nous "ment", une société qui nous ment en quelque sorte. Qui crée cet enfer ? C’est parfois la vie de famille, dans d’autres cas, c’est nous qui nous nous enfermons dans nos jugements et qui nous mentons à nous-mêmes. L’enfermement, ça parle aux jeunes, aux familles et à tout le monde. On est parfois enfermé dans des idées.

 

C. : Qu’est-ce qui rend les Samedis du Ciné si unique à Bruxelles?

Ch. I. : Ce qui est intéressant avec les Samedis du Ciné, c’est que ce n’est pas cher, 2,50€. Il permet à un public multiculturel de venir voir un film au cinéma soit pour la qualité de la programmation, soit, parce que c’est accessible. On peut aller au cinéma à cinq pour le prix d’une place dans d’autres cinémas. On peut poser ses enfants dans la salle, où on s’occupe d'eux pendant 3 heures, et pendant ce temps, les parents vont voir un film art et essai qu’ils n’auraient peut-être pas vu, car ils n’ont pas accès à ce type de cinéma dans le circuit classique sur les plateformes ou à la télévision. Ce qui est intéressant c’est qu’on fait découvrir du cinéma, mais on met également en place des rencontres avec les cinéastes et ça donne de très belles rencontres et discussions. Les réalisateurs nous remercient d’avoir mis en place des débats dans ce qu’on appelle le second circuit. En générale, ce sont des films qu’on ressort et à qui on donne une nouvelle vie en les remettant à l’affiche. Si on voit qu’un réalisateur belge va sortir un nouveau film bientôt, on essaie de voir si l’on ne peut pas placer un de ses films précédents dans la programmation afin de stimuler le spectateur à voir son nouveau projet. C’est de cette manière que l’on soutient le cinéma belge. 

Les Samedis du Ciné (https://loupioteasbl.wordpress.com/les-samedis-du-cine/)

Le cinéma Vendôme (http://www.cinema-vendome.be/)

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