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De la planète des humains, un film de Giovanni Cioni

Publié le 29/11/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

La Terre, on ne sait quand, on ne sait où. Petit à petit, survolant les ondes dont le murmure envahit l’écran, Giovanni Cioni nous entraîne dans un monde entre passé et présent, où les frontières de l’espace et du temps n’ont plus que le sens que les hommes leur donnent. Bon baisers de la planète des humains.

De la planète des humains, un film de Giovanni Cioni

C’est sur les côtes de la Méditerranée que nous emmène le cinéaste, à cheval entre la France et l’Italie. À Vintimille et à Menton, stations balnéaires d’hier et d’aujourd’hui, se jouent chaque jour l’échec de l’Europe et le drame de l’immigration. Des dizaines de migrantes et de migrants tentent de passer en France, empruntant les sentiers escarpés en bord de falaise ou se faufilant dans les tunnels ferroviaires, pour le bonheur de certains et le malheur du plus grand nombre. “C’est comme au football, on se fait dégager”, ironise un témoin rencontré au détour d’un virage de la route menant au poste frontière gardé jour et nuit. Et pourtant, il retentera demain, car arrivé à ce point de leur voyage, le retour en arrière n’est plus une option depuis longtemps. Une fuite en avant que nous raconte Cioni de sa voix amère avec, pour seul fond sonore, les coassements des grenouilles et le crissement des graviers.

À ces témoignages et ces captations se superposent les fantômes du passé et du présent, créant un kaléidoscope d’images et de sons brouillant les limites de la raison. Surgissent alors de l’Histoire des fables venues des confins de la réalité, narrées par les chœurs de batraciens qui peuplent les citernes juchées sur les flancs de collines. Les murs de la Villa Voronoff, perchée sur la falaise surplombant Menton, se mettent à scander une autre Histoire de la baie. Le docteur Voronoff, médecin illuminé à la recherche de la vie éternelle, y enfermait jadis des primates malchanceux pour en extraire leurs organes génitaux censés redonner jeunesse et vigueur à ses patients. Entre Frankenstein et Mengele, voici l’histoire d’un homme adulé autant que décrié en son temps, dont il ne reste aujourd’hui que les marques dans le paysage. Ami de Mussolini, tous deux croyaient en la réjuvénation. L’un de l’Italie, l’autre de la race humaine toute entière. À coups d’archives, Cioni nous dresse le portrait de ce passé pas si lointain où l’homme pensait, comme à son habitude, pouvoir être la mesure de toute chose.

"C’était un autre temps”, nous dira-t-on. Pourtant, aujourd’hui, c’est notre temps, et les spectres sont encore là, laissant de nouvelles traces dans les paysages.

Ils sont là par les cages des singes qui sont restées intactes, accrochées sur les falaises de Menton. Ils sont là par les restes de vêtements, de vivres, d’objets intimes abandonnés par les migrantes et les migrants dans leur course vers une vie meilleure. Une vie où ils sont contraints d’affronter la mort pour être en vie, aujourd’hui comme hier. Ils sont là enfin par les images multiples exhumées par le réalisateur, fantômes à qui le temps et la mort ont ôté la parole.

Des spectres accusateurs dont Cioni se fait le héraut, au travers d’un film expérimental qui assène son propos au moyen d’une forme surprenante.

Projeté au Cinéma Nova de Bruxelles les 4 et 5/12 et diffusé sur La Lucarne/ARTE le 6/12 à 00.15

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