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En marche - un film du collectif 1chat1chat

Publié le 01/06/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Ronronnement des machines, cliquetis des engrenages. On pourrait presque être apaisé par ce générique, s’il n’y avait cette atmosphère angoissante et cette musique sombre. La sensation grandissante de quelque chose qui tourne trop rond pour être vrai. Et pour cause, En marche décrit, au travers d’un faux documentaire pas si loin de la réalité, une situation où la machine et l’homme se mélangent jusqu’à ne faire plus qu’un, jusqu’à ce que la première ait absorbé ou détruit le second. Fiction dites-vous?

En marche - un film du collectif 1chat1chat

Derrière ce film, on sent la volonté de montrer les failles d’un système bien réel, appuyé par les constats des humains porteurs de ce projet aussi malin que drôle, aussi terrifiant qu’instructif. L’enrobage fictionnel n’est là que pour pouvoir pousser les curseurs, car les situations vécues par ces personnages sont inspirées de calvaires bien réels. Dans ce jeu de dupes, Martin (Alain Eloy) le facilitateur, nous sert de fil rouge. Ce protagoniste - du documentaire fictionnel comme de la fiction elle-même - malmène les chômeurs et chômeuses qui passent dans son bureau, avant de se faire à son tour bousculer par l’absurdité du système dans lequel il est enfermé. À traits volontairement grossis, on assiste à sa descente aux enfers, tentant par tous les moyens de pérenniser un système dans lequel il n’a déjà plus sa place.

La force de En marche réside dans la mise en place d’un dispositif entre fiction et réalité, où les saynètes mises en scène déclenchent la parole d’expert.e.s militant.e.s. En questionnant la place de l’humain dans le système actuel, Isabelle Stengers, Miguel Benasayag, Dominique Méda et Antoinette Rouvroy décortiquent pour le spectateur les mécanismes de domination qui sont mis en lumière par la fiction. Une emprise exercée non pas par le contrôleur - pardon, le facilitateur - mais bien par l’État et, au-delà, par l’écrasante machine capitaliste. Une fois ce niveau de compréhension atteint, l’angle avec lequel nous observons le parcours de Martin devient tout autre. De tortionnaire, il devient victime, alors que les cases à cocher et les grilles à remplir se déshumanisent de plus en plus. L’absurdie n’est plus très loin, elle arrive au détour d’un contrôle ou d’une phrase. “Votre travail, c’est chercher du travail”, “quels sont les obstacles que vous rencontrez dans votre recherche d’emploi ?” Questions et harangues se suivent et se ressemblent, malgré la pluralité et la diversité des humains qui font face à ce système. La culpabilité du chômeur l’écrase, face à une soi-disant impuissance du fonctionnaire face à ses grilles d’analyse et ses procédures. “Quand le facilitateur est devenu un algorithme à trier les bons et les mauvais chômeurs”, où va-t-on ensuite ? Le film pousse le curseur jusqu’à un monde - peut-être pas si lointain - où les humains ont disparu du système. Où un ordinateur décide de votre exclusion, et où des machines - frappées du sigle rouge de l’oppression - trient sans erreurs et sans sentiments les CV et les dossiers. Exit le théâtre social, exit les mascarades et les faux-semblants. Pour un mieux ? Le film se chargera de vous répondre, avec son ton irrévérencieux et délicieux et à coup de phrases cinglantes autant que de situations (sur)réalistes. Un documentaire édifiant parfait pour déclencher le débat sur ce sujet de société que d’aucuns jugent immuable, alors qu’il résulte de choix politiques et de la perpétuation d’un système d’oppression bien connu, pourtant peu remis en question par nos gouvernants.

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