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Here de Bas Devos

Publié le 17/01/2024 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

Star des festivals (après son triomphe dans la catégorie Encounters à Berlin, il fera partie de la line-up du TIFF à Toronto, du Film Fest de Gent et du Festival de Films de New York), le quatrième film de Bas Devos, Here s’ouvre sur une succession de plans fixes de bâtiments en construction, vides de toute présence humaine, et desquels pourtant, émane des tintements métalliques, des bruits sourds de forage.

Here de Bas Devos

Des chantiers fantômes qui, à la veille des premiers départs en vacances estivales, habillent les moindres recoins de Bruxelles. Déjà présente dans les films Hellhole (2016) et Ghost Tropic (2019) de Bas Devos, la Washington d’Europe reprend de nouveau du service dans Here, pour servir cette fois de décors aux déambulations piétonnes de Stefan (Stefan Gota), un ouvrier roumain qui tâche de vider son frigo avant le retour au pays pour l’été (et peut-être plus, il laisse planer le doute sur son futur) en distribuant de la soupe à ses proches. Un prétexte pour de longues balades qui le guideront jusqu’à Shuxiu (Liyo Gong), une chercheuse sino-belge spécialisée en bryologie et qui à l’occasion donne aussi un coup de main à sa tante derrière les fourneaux de son restaurant. Mais ce qui se passe dans le futur n’a pas de prise ici. Here est un film qui se conjugue au présent, dans le maintenant dans le “ici” : une manière d’être au monde. 

Le renversement du “r” dans le titre du film, lorsque ce dernier apparaît sur l’écran, n’est d’ailleurs pas anodin. Rappelant, tour à tour, le terme “Ereh” qui en Hébreux signifie “né dans le pays”, il questionne la notion d’identité, la capacité à se sentir chez soi dans un pays étranger. Un sentiment que peut ressentir Stefan et dans une moindre mesure Shuxiu. Tout en insistant sur le fait que “Home is where I am” pour reprendre le titre du musicien électronique Superpoze.

Car Here c’est dans le même temps, un rapport à la vie. Stefan, lui, est en mouvement, ne sachant pas ce qu’il fera le lendemain, et où le mèneront les rencontres qu’il fait. Il marche, appose son rythme sur la vie et sur le déroulé du film qui prend son temps insistant sur la multiplication de plans fixes. Quelques travellings viennent malgré tout marquer l’évolution du personnage, sa mise en route, lui qui est bien souvent dans l’observation. Le film de Bas Devos est à ce titre, une œuvre picturale et esthétique qui met à l’honneur la composition des plans. Chaque plan se fait peinture et le reflet d’une ville de Bruxelles hors des sentiers battus, loin de l’agitation du monde. L’occasion pour le cinéaste de renouveler son amour pour les personnages peu représentés qui évoluent aussi dans des recoins peu médiatisés de la capitale européenne. Comme dans son précédent film, ce n’est pas la destination qui compte, mais bien le parcours nimbé de rapports humains.

La soupe que le personnage distribue aux êtres avec lesquels il prend le temps d’échanger, aux individus qu’il nous présente tour à tour (famille, amis, amour ?) est, elle aussi, porteuse de sens. “Servir la soupe” c’est se montrer complaisant, vouloir satisfaire ses proches. S'accommoder au goût des autres, les prendre en considération. Stefan prendra même le temps de se poser à observer les mousses, végétation omniprésente à côté de laquelle on passe pourtant sans jamais s’arrêter. Au même titre que Stefan et Shuxiu ? Aux ouvriers qui aux quatre coins de la ville de Bruxelles, occupent nos champs de vision ? Le film de Bas Devos, plus qu’une narration construite, est une ode à considérer le monde tel qu’il est, à vraiment voir les gens que l’on croise, à profiter des “liens faibles” qui font partie de notre journée et nous ouvrent, comme le rappelle le sociologue Mark Granovetter, à de nouveaux horizons.

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