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Karaoké domestique de Inès Rabadan

Publié le 17/07/2013 par Dimitra Bouras / Catégorie: Critique

Les aléas de l'économie restreinte ouvrent des brèches dont on ne maîtrise pas toujours les effets.
Partant de l'envie de saisir la complexité des relations hiérarchiques dans un domaine aussi intime qu'est la domus, Inès Rabadan est allée à la rencontre de ses habitantes. Ces maîtresses de maison se font aider pour l'entretien de leur intérieur familial par des femmes de ménage deux à trois fois par semaine. On n'ouvre pas son panier à linge, sa chambre et sa salle de bain, sans tenter de se rapprocher de celle qui vous remplace dans ces tâches qui, étonnement, sont toujours attribuées à la maîtresse de maison, aidée, un peu, beaucoup ou pas du tout par l'homme.

Karaoké domestique de Inès Rabadan

La réalisatrice de Surveiller les tortues ou de Belhorizon a choisi d'interroger séparément trois «couples» de patronne/femme de ménage, assises face caméra, répondant aux questions les plus anodines sur l'organisation domestique. Curieusement, les femmes de ménage ont été les moins enclines à jouer le jeu, à tel point qu'elles n'ont pas voulu apparaître à l'image. Prêter sa voix, oui mais pas son visage. La réalisatrice a dû trouver une astuce pour faire coïncider la parole sans visage au cinéma. Elle a pensé au « karaoké » ou plus précisément au « lipping ». Elle a doublé ses personnages de telle sorte qu'on la voit, elle, mais ce sont ces femmes qu'on entend, on entend leurs voix avec leurs intonations et leurs accents. Inès Rabadan imite ces 6 femmes, elle se met littéralement dans leur peau, prêtant ses lèvres au son de ses protagonistes, reprenant leurs expressions physiques: haussement de sourcils, sourire en coin, regard qui se perd, mains qui s'agitent, etc... Tout y est!
En les banalisant dans l'uniformisation des personnes à la manière de mannequins, identiques jusque dans leurs poses, qui porteraient les mêmes vêtements mais « juste » de couleurs différentes, Inès Rabadan rend à chaque femme sa singularité! Car c'est cette couleur qui fait la différence! On entrevoit derrière les mots de chacune d'elles leur vécu et leur présent, ce qui les rend unique. Ce ne sont pas « juste » des femmes de ménage ou « juste » des patronnes. Ce sont des femmes qui, par le hasard de la vie, occupent telle ou telle fonction, mais dont on devine leur personnalité, leur caractère, leur force et leur faiblesse. Le résultat est très surprenant, et cette étrangeté ajoute du poids aux propos tenus.

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