Thierry Zéno, cinéaste-sorcier

Son long-métrage le plus célèbre et sans doute le plus dérangeant est Vase de noces dont la réception critique et publique fut pour le moins épique et scandaleuse. Présenté au mythique festival EXPRMNTL de Knokke, il fut exclu par la Communauté française de l'époque qui refusa de le considérer comme un film belge. Aujourd'hui encore, sa vision reste perturbante. Zéno filme en noir et blanc les amours étranges, dans une ferme délabrée, entre un jeune homme et une truie. Entre la fange et l'extase, le film ritualise cette passion hors norme – les gestes et les corps en sont l'ossature – et la pousse dans ses extrêmes les plus provocants. Les tabous de la zoophilie, de l'infanticide, de la coprophagie et du suicide éclatent et bouleversent nos représentations et nos sensations. Le travail entièrement post-synchrone du son font vibrer les musiques religieuses et les créations sonores électroniques d’Alain Pierre pour une expérience physique intense proche de la transe sacrée.

Premier film de Zéno, Bouche sans fond ouverte sur les horizons est un court-métrage en 16mm qui embrasse l'univers atypique de Georges Moinet, peintre schizophrène résidant dans une institution psychiatrique près de Namur. L'artiste, enfermé dans un silence depuis des années, accepte de se livrer au cinéaste pour une tentative d'explication de son œuvre picturale. Sa parole rapide et inépuisable devient presque chamanique, incantation magique sur laquelle le cinéaste alterne les gros plans de Moinet et des plans de ses tableaux étonnants et mystérieux.

Co-réalisé avec Jean-Pol Ferbus et Dominique Garny, Des morts est un documentaire éprouvant sur les relations de l'être humain à la mort à travers les rites funéraires filmés dans plusieurs endroits du monde. Le montage précis et incisif confronte des rites traditionnels et sacrés de différents peuples où le temps du deuil est long et collectif à l'industrialisation des pompes funèbres dans les sociétés occidentales et où la temporalité est fixée par l'efficacité et le rendement.
Film sensoriel et quasi tactile, Des morts crée le malaise car il nous interroge et nous met en danger. Aux images parfois insoutenables, se déploie la nappe musicale d’Alain Pierre qui accompagne la gestuelle des vivants envers leurs morts. Car il s'agit bien Des vivants dont le film parle. Et de la vie, comme le montre la séquence magnifique de ces jeunes, lourdement appareillés et condamnés par la maladie, qui continuent à jouer sans relâche, la vie comme un temps précieux et fragile.

Cette belle édition DVD est accompagnée d'un livret critique particulièrement éclairant et nuancé de l’œuvre de Thierry Zéno rédigé avec sensibilité par Muriel Andrin, professeure de cinéma à l'Université Libre de Bruxelles. La sortie du DVD sera également accompagnée de projections en salles des films de l'un des cinéastes belges les plus singuliers.