Cinergie.be

La Civil de Téodora Ana Mihai

Publié le 26/10/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Qu’il est bon de découvrir, s’implantant avec fermeté dans le paysage cinématographique actuel, des réalisatrices de talent construisant des récits puissants et engagés, autant dans leur propos que dans leur mise en scène. Teodora Ana Mihai, cinéaste belgo-roumaine, présentait ainsi sa première œuvre de fiction La Civil, en ouverture du Film Fest Gent. Un film attendu, après qu’il ait remporté le prix du Courage au festival de Cannes 2021, dans la sélection Un Certain Regard.

La Civil de Téodora Ana Mihai

En suivant le personnage de Cielo, cette mère hagarde mais tout, sauf apathique face à la disparition de sa fille unique, la réalisatrice nous emmène dans un Mexique accueillant aux premiers abords, dépaysant, avant que très vite, la vérité des situations et des brutalités enfouies de cette société rongée par les cartels ne se fassent sentir. Une déchirure d’autant plus dure que la beauté des quelques instants échangés entre la mère et la fille sont d’une rare finesse. Et lorsque, par la bouche d’un jeune chérubin, nous apprenons dans une telle banalité l’enlèvement de son unique enfant, nous, spectateurs, nous nous retrouvons comme Cielo, désemparés, avant que la réalisation du drame ne tombe pour le personnage.

La Civil, partant de cet événement déclencheur somme toute éculé, déroule un récit d’une lenteur sourde et surprenante. Non que le film soit ennuyeux, au contraire. Derrière cette retenue de tempo, Teodora Ana Mihai prend le temps de développer non seulement la psychologie de Cielo, mais aussi celle de ses personnages féminins en général, tout aussi bien écrits que sa protagoniste. Une finesse d’écriture qui donne une vraie profondeur à ces rôles, tranchant avec les hommes monolithiques peuplant l’entourage de Cielo, à commencer par son ex-mari. Le contraste entre ce dernier et sa nouvelle compagne Robles est frappant. Dans La Civil, le masculin laisse place au féminin dans ses multiples facettes.

En poursuivant sa recherche, Cielo fait la rencontre de Lamarque, lieutenant d’une armée aux méthodes peu conventionnelles dont la brigade s’est spécialisée dans la lutte anti-cartel, par tous les moyens. Une collaboration s’engage, mais est-ce vraiment la nature de leur association ? Cet homme semble être aussi figé que les autres, mû uniquement par sa volonté d’en découdre, dans un combat qu’il sait sans fin. Cielo, entraînée avec lui dans cette spirale de violence, déchantera bien vite. Et de constat amer en désillusions, le personnage n’aura d’autre solution que de trouver elle-même ses propres réponses, et son propre aboutissement.

Ce cheminement de la lumière vers l’ombre, et retour, Teodora Ana Mihai le met en scène au plus près de son actrice, Arcelia Ramirez. La caméra nous place sans cesse dans la position de témoin, avec elle, sans manquer ses plus petits changements de ton. La lumière est naturaliste, immergeant son personnage dans les ténèbres nocturnes ou la baignant d’un soleil de plomb accablant. Tout est tension dans cette œuvre, création audiovisuelle entièrement dédiée à nous plonger dans ce récit à la première personne. Une tension sourde, qui devient palpable dans les séquences de nuit où Cielo accompagne les militaires dans leur traque perpétuelle. Une cinématographie qui rappelle celle des frères Dardenne dans Le Fils, ou encore le travail de Cristian Mungiu, coproducteur du film lui aussi.

Et à travers ces prises de vues, et du travail de Mihai et de son directeur photo Marius Panduru, on se laisse emporter dans le tourment de Cielo.
Une descente aux enfers dont on ne ressort pas indemne, à l’image de cette Hercule au féminin, prête à tout accomplir pour retrouver sa raison de vivre.

 

Tout à propos de: