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La Monique de Joseph selon Vera Van Dooren, Jan Hammenecker et Carlo Ferrante

Publié le 05/04/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Séquence 1 : Vera Van Dooren, Jan Hammenecker et Carlo Ferrante. Salle de fêtes et à manger pour l’occasion. Dernières minutes triangulaires avant la reprise.

Cinergie : J’aimerais qu’à tour de rôle, vous me parliez de votre personnage.
Vera Van Dooren : Moi, je joue Monique, la femme de Joseph. Je suis une fermière et on travaille dans les pommes de terre. Tout va bien mais apparemment, les autres – surtout mon mari – estiment que ça ne va pas. Pourtant, même le médecin a dit que je suis en parfaite santé ! Donc, il n’y a vraiment pas de problème avec Monique.
Jan Hammenecker : Moi, je suis Joseph. Apparemment, ça ne va pas trop bien dans notre ménage depuis un petit moment.
V.V.D. : Ah, bon (rires)?!
J.H. : Ah, mais oui. On ne s’aime plus trop. Un matin, Monique se lève avec une tête de biche. Moi, je ne comprends pas très bien parce que tout le monde a l’air de trouver ça normal, sauf moi. Petit à petit, Monique a d’autres aspirations et elle s’en va. À ce moment-là, Joseph se rend compte qu’il tient plus à sa femme qu’il le croyait. Et alors, il y a ce salopard d’amant... (mine faussement dépitée de Carlo, l’époux de Vera dans la vie).
Carlo Ferrante : Bon, je crois que c’est à mon tour !

Séquence 2 : Carlo et Vera. Trajet animé en couple et en minibus jusqu’au plateau.
C.F. : Moi, je peux enrober sur tout. C’est parti !

V.V.D. : Par contre, Carlo, il peut vraiment te parler de rien pendant des heures !
C.F. : Pendant des heures, voilà ! Non, moi, je fais un petit truc ici, mais j’ai vraiment envie de le défendre. Mon personnage (un facteur) est amoureux de Monique, et malgré le fait qu’elle a une tête de biche, il ne le voit pas. Comme il est très timide, il essaye, à chaque fois d’entrer en contact avec elle, sous prétexte de lui apporter une lettre ou un colis, mais ça ne marche jamais. Et alors, comme il a une mobylette, il a envie de frimer comme dans Un long dimanche de fiançailles : arriver et faire un dérapage devant la maison (rires) ! Oh là, le mec qui se fait un trip tout seul! »

C : Vera, qu’est-ce que ça te fait d’être transformée en Cervus Elaphus [espèce rare de cervidé] ?
V.V.D. : C’est très chouette parce que, comme tu ne peux pas être expressive dans le visage, il faut essayer de l’être dans le corps. En même temps, je ne vois pas les réactions de Jan donc, je les imagine. Comme je ne vois rien, je ne peux même pas prendre de repères visuels. Par exemple, je dois prendre une patate et je suis 3 cm à côté d'elle, alors ça ne fonctionne pas. Donc, c’est un défi très intéressant pour une comédienne. Je ne dois pas non plus jouer que j’ai justement une tête de biche sur moi. Si j’appuie trop, je casse mon personnage.
C : Le travail que Carlo a fait sur Le Généraliste t’a-t-il aidée pour ton propre rôle?
V.V.D. : Je ne pense pas que je pourrais m’en inspirer, parce que sur Le Généraliste, Carlo portait juste les cornes de cerfs. C’est un tout autre style de jeu. Je pensais que ça allait me donner des idées mais en fait, ce ne fut pas le cas. Il avait beaucoup plus de possibilités de jeu avec sa bouche et ses mouvements. Moi, je ne vois rien, donc il y a des limites.
C.F. : Mais pour ton plan de carrière, c’est vraiment intéressant !
V.V.D. : Oui, c’est clair que je vais devenir riche et célèbre avec ça !
C.F. : Quand je la regarde jouer avec cette tête de biche, je repense au travail des masques qu’on faisait à l’école. On était à la Kleine Academie avec Jan : on était en seconde et lui, en première. On se connaît depuis longtemps, mais c’est la première fois qu’on se retrouve tous les trois ensemble dans un même projet.
V.V.D. : Moi, je vais faire un spectacle après, avec Jan aussi. C’est la version flamande d’un truc qui s’appelle « Vie et mort de la viande. »
C.F. : C’est bien : ça reste dans la thématique !

C : Qu’est-ce que vous avez appris grâce aux masques ?
V.V.D. : Je pense qu’ils permettent surtout de connaître son corps, de déterminer la façon dont il bouge et d’être un peu conscient de ce qu'on dégage quand on est en mouvement. Et il y a des paramètres plutôt techniques dont je dois tenir compte. Par exemple, tout à l’heure, dans une scène, je devais ouvrir une porte. Quand je le faisais avec le bras que j’utilise normalement, je cognais à chaque fois la porte avec le museau de mon masque. Donc, il faut tricher avec son corps mais le faire comme si c’était naturel.
C.F. : En même temps, on sent qu’il y a une subtilité dans son timing et dans sa réaction corporelle : Vera joue le masque mais aussi la situation. Sinon, on pourrait se dire : « pourquoi faut-il faut prendre un comédien pour jouer sous un masque ?»
V.V.D. : Ah ça, oui ! Il faut toujours jouer. Si tu ne joues pas, tu as juste un masque qui ne vit pas et ton corps qui ne suit pas la situation en cours.

Séquence 3 : Jan, individuel, dans une pièce remplie de livres obtenus grâce aux points Artis Historia.
C : Avant de rejoindre La Monique de Joseph, tu connaissais fort probablement le travail de Damien…
J.H. : Oui, oui. J’adorais. C’est un genre de cinéma que j’aime bien. C’est assez nordique. Allez, ça me fait penser à Aki Kaurismaki. L’emploi du temps et la bêtise de la situation racontent déjà énormément. Les comédiens ne doivent pas en ajouter beaucoup; ils doivent juste être là. C’est déjà très important pour un comédien d’être là. On appelle souvent ça du non jeu, mais ce n’est pas ça. J’ai lu une interview de Michel Noiret juste avant sa mort. Il explique ceci aux jeunes comédiens : dans ton premier film, tu essayes de jouer tout le temps. Et puis, il y a une étape, et c’est un truc que tu dois accepter : c’est juste d’être là. Mais c’est déjà quelque chose, parce que peu de gens osent être là.

Pourtant, un comédien qui est là, tu le sens tout de suite. Et c’est flippant, parce que tu as l’impression que tu ne fais rien, que tu ne donnes rien ou que tu ne maîtrises pas ce que tu donnes. Tu vois, c’est un état bizarre dont il faut sortir de temps en temps, parce que tu ne peux pas juste te laisser filmer comme ça. Mais il faut aussi accepter (surtout quand c’est vraiment un rôle, et pas juste une apparition ou un passage) de parfois juste ouvrir une porte sans que ça veuille dire quelque chose ou de boire une tasse de thé sans essayer d’exprimer plein de choses. Et je sens que maîtriser ça, c’est pas si évident. Etre là : dans quelle mesure est-ce que je joue, j’ajoute ou j’enlève ?

C : Comment est-ce que ça se passe sur le tournage ?
J.H. : Je retrouve ce que j’avais déjà expérimenté la première fois que j’avais travaillé avec lui [dans le cadre d’un feuilleton réalisé par Damien pour Radio Campus]. C’est quelqu’un de très méticuleux. En tout cas, j’ai l’impression qu’il sait très bien ce qu’il fait et ce qu’il veut. Ce qui signifie qu’il insiste vraiment pour refaire des prises tant que ce n’est pas comme il le désire. Par exemple, il est très précis sur le peu de dialogues du scénario mais il y a vraiment des phrases auxquelles il tient. Il faut qu’elles soient dites de telle manière et que tous les mots y soient ! Et en même temps, je ne dois pas le convaincre de mes capacités de jeu. C’est que sans doute, il croit en moi. Je vois qu’il connaît bien mes qualités autant que mes défauts.

C : De quelle façon abordes-tu ton personnage, Joseph ?
J.H. : Si tu prends Le Généraliste, tu as l’impression que tous les personnages sont drôles, qu'ils sont à l’image de la personnalité de leurs interprètes. Mais le personnage de Joseph n’est pas comique en soi, même si la situation l’est. Justement, Joseph doit apporter un côté un peu dramatique et touchant à l’histoire. C’est un défi en soi parce que c’est sûr que j’ai tendance à être drôle. Chez Damien, il y a déjà plein de choses qui sont racontées par la caméra, l’image, l’éclairage, la situation, les décors, le travail et les gueules des comédiens. Alors, tu dois te demander : « Dans quelle mesure est-ce que je joue ceci ou cela ? Est-ce que je joue à l’antipode ou est-ce que je donne un contrepoint ? »

C : Et par rapport aux autres comédiens ?
J.H. : Ce n’est pas facile de jouer dans un film avec quelqu’un de masqué. Mais c’est assez marrant parce que cette tête de biche est assez vivante et j’ai souvent l’impression qu’elle me regarde dans les yeux ! Vera est vraiment une partenaire de jeu qui te propose plein de choses et qui te parle même sans dire du texte. C’est assez particulier… Jusqu’à présent, je n’ai pas encore joué avec Carlo, mais les autres jours, j’ai eu quelques scènes avec Alexandre von Sivers, celui qui joue le généraliste dans le court précédent de Damien. C’est un comédien que je respecte beaucoup et que je trouve fabuleux. Je te jure, à chaque fois qu’il s’adressait à moi, j’étais écroulé de rire : il est drôle, quoi !

Et puis, il y a José Brouwers, un comédien qui a déjà plus ou moins 75 ans. Apparemment, il n’a jamais fait de cinéma, mais il a déjà fait beaucoup de théâtre. C’est un personnage incroyable. Oui, c’est ça que je vois chez Damien : il choisit vraiment les gens, il arrive à trouver des bonnes personnes pour les rôles qu’il veut. Par exemple, il voulait un prêtre polonais. Eh bien, il a trouvé un monsieur polonais qui n’est pas du tout comédien mais qui est entrepreneur dans la vie et il joue vraiment très bien !

C : Qu’est-ce qui t’incite à tourner encore et beaucoup dans le format court ?

 J.H. : Tout le monde le dit mais je n’en ai pas l’impression ! Souvent, j’accepte un projet quand une personne me séduit par son histoire, son scénario, son passé, ses films déjà faits, sa présence ou bien la façon dont il me le demande. Et que ce soit un étudiant à l’IAD ou à l’INSAS ou encore quelqu’un qui a déjà fait 5-6 films, ça revient un peu au même. L’étudiant n’a pas de passé, il ne peut pas te montrer un CV. Souvent, tu sens une maladresse dans la façon dont il te le propose mais il se passe quelque chose de très personnel, de très subjectif et oui, ça peut être intéressant.

Alors, jouer dans un long ou un court…Moi, j’aime bien jouer dans des longs. Allez, j’aime jouer tout court. Si c’est pour jouer dans des longs métrages où j’ai juste une apparition, je ne sens pas que je joue. Je fais une apparition parce que j’aime bien la personne, le projet, pour donner un coup de main, ou tout court, parce que j’ai besoin de sous. On n’est pas vraiment dans une position où on peut refuser du court en Belgique. Bien sûr, j’aimerais jouer des rôles bien consistants dans des longs mais c’est tellement rare qu’on te propose ça.

Au début, quand tu es un jeune comédien, tu acceptes tous les projets en te disant que c’est une façon de te faire connaître et de t’apporter d’autres choses (éventuellement d’autres projets des mêmes réalisateurs). Maintenant, ça va, je ne peux pas continuer à penser comme ça : je parle comme un vieux mais j’ai 39 ans (rires) ! J’accepte quelque chose parce que j’ai envie que le résultat soit bon et pas en fonction de ce que ça pourrait donner. Pour un comédien, ce n’est pas évident, parce qu’effectivement, tu es tellement en demande, tu dépends tellement de ce qu’on te propose. Au début, tu es là-dedans et c’est normal mais alors, tu te rends compte qu’on ne te demande plus ou qu’on ne te propose pas ce que tu espérais. Et que quand les réalisateurs passent au long, ils doivent faire financer leurs films en France alors, ils sont obligés de prendre des vedettes françaises, ce qui laisse des petits trucs frustrants pour les Belges. Alors, tu as le choix : ou tu restes frustré ou bien, tu continues à faire ce que tu aimes faire.

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