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Rencontre avec Carlo Ferrante, Coach d'acteurs

Publié le 07/06/2018 par Dimitra Bouras et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Acteur, coach, formateur, auteur, réalisateur, metteur en scène, Carlo Ferrante est sur tous les fronts. Au cinéma, il joue pour Vincent Lannoo dans Ordinary Man et dans Au nom du fils, pour Richard Dale dans The last days of the princess. Au théâtre, il accumule des centaines de représentations avec, entre autres, l'Andante théâtre, le théâtre du Tilleul, la compagnie de la Sonnette. Mais cet homme discret a également fait ses preuves en tant que coach et formateur dans le cadre de nombreux ateliers en Belgique et à l'étranger, secondé par sa femme, Vera Van Dooren. Coach d'enfants, d'adolescents et d'adultes, il conseille et soutient le petit Oscar dans Oscar et la dame Rose d'Eric-Emmanuel Schmitt, le petit Boule dans Boule et Bill d'Alexandre Charlot et Franck Magnier, les ados dans L'Échange des princesses de Marc Dugain. Un parcours éclectique bercé d'opportunités riches et variées. L'homme se laisse porter et, jusqu'ici, tout semble lui réussir. Il se confie sur un pan de sa carrière : le coaching. Qu'est-ce qu'un coach ? Comment le devient-on ? Quel est son rapport avec le réalisateur ? Quelles sont les réalités du milieu ?

Cinergie : Comment devient-on coach d'acteurs ?
Carlo Ferrante : L'idée de coaching pour les jeunes, même si après on a coaché des adultes, est née sur le tournage d'Ordinary man de Vincent Lannoo dans lequel ma fille de 7 ans jouait et qui comportait des scènes très difficiles. De manière naturelle, comme on travaillait déjà avec des acteurs, on l'a coachée pour lui faire comprendre qu'il y avait une différence entre la fiction et la réalité même si le cinéma peut montrer des choses assez dures. Ici, je devais enfermer une femme dans le coffre de ma voiture et la cacher pendant que ma fille courait seule dans la forêt. Très vite, Hélicotronc avec qui on travaillait à l'époque, a reçu d'autres demandes de coacher des enfants sur des films. On m'a demandé de coacher le jeune Oscar sur le tournage de Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt. De fil en aiguille, on m'a appelé sur de plus gros projets comme Boule et Bill et récemment L'échange des princesses où il s’agissait de jeunes entre 8 et 18 ans et qui devaient jouer des rôles d'époque.
Je n'ai jamais couru après les projets de coaching d'acteurs, mais quand les gens m'appellent j'aime trouver des astuces, pédagogiques et psychologiques, des solutions pour débloquer les situations.
Dans le coaching de jeunes sur des films, il n'y a pas seulement le côté acteur mais aussi le fait que ça dure longtemps et il faut qu'ils tiennent sur la durée. Le travail de coach est un travail très particulier. Il n'existe même pas de place physique pour le coach sur un tournage à côté de l'équipe son, lumière ou image. Il doit slalomer entre tous ces gens. Et, on ne peut pas non plus empiéter sur le travail du réalisateur, même si on fait aussi un peu de mise en scène. Il y a un jeu diplomatique, presque politique, entre le réalisateur et le coach. Il faut trouver une sorte d'entre-deux, c'est une ligne étroite, et c'est toujours assez ingrat puisque dans le milieu artistique, on côtoie souvent des egos surdimensionnés. C'est un peu le rôle d'un « spin doctor », on va dire que le discours d'Obama était bon mais on ne dira pas qu'il a été écrit par quelqu'un d'autre, dont on ne parlera jamais !
Je me suis un peu assoupli au fur et à mesure des années, mais c'est un peu frustrant d'entendre les réalisateurs dire qu'un jeune comédien a un talent naturel alors qu'on sait que nous avons fait un gros travail en amont.

C. : Concrètement, comment coache-t-on les jeunes ?
C. F. : Un enfant ne fonctionne pas comme un acteur adulte, il ne peut pas monter sur le plateau et faire ce qu'on lui demande. Au préalable, on établit les intentions et le style de jeu avec le réalisateur. Ce n'est pas qu'une répétition de texte, c'est aussi le jeu et comment être juste dans son personnage. Je ne pourrai pas donner des directives qui sont à contre-courant de ce que le réalisateur voudrait. Parfois, sur le tournage, il m'arrive de dire des choses à l'oreille du comédien pour que cela fonctionne mieux. Le principe d'un bon acteur, c'est de pouvoir jouer plusieurs couches en même temps comme l'endroit où il doit se placer, son émotion, son texte, la mimétique à avoir. Il m'est déjà arrivé, pour des acteurs très jeunes, de me mettre à quatre pattes pour mimer et aider l'acteur au mouvement. Il y a une forme d'affectivité qui se crée avec les enfants. Je me sens un peu comme un instituteur - mentor. J'ai envie de les suivre correctement et je n'ai pas envie qu'ils souffrent pendant le tournage. Au-delà du jeu, en tant qu'adulte-acteur, même quand la prise est faite, il y a peu de retours. Or, l'enfant a besoin qu'on aille le chercher. Dès que la prise est finie, je vais chercher le jeune acteur pour le rassurer. Et, souvent, ce qui se passe, c'est que même pour les plus âgés, comme dans L'échange des princesses, on sent qu'ils commencent à avoir avec moi une relation privilégiée, je deviens un peu leur point de référence et cela aide à tenir la distance. Parfois, j'essaie de gérer aussi les crises des adolescents.

C. : Avec les enfants, j'imagine que le plus difficile c'est qu'ils restent le plus naturel possible même si on est dans une fiction.
C. F. : Dans L'échange des princesses, ils doivent jouer des princes, des rois, une future reine, donc, ils ne peuvent pas être naturels car ce n'est pas contemporain. Dans ce cas de figure, il est important qu'ils aient l'identité de ce personnage pour fonctionner et quand il y a des scènes dites "d'amour" entre adolescents et qu'ils doivent s'embrasser, ils doivent bien comprendre que l'autre est en train de jouer même si l'aspect de la corporalité dérange toujours. C'est toujours difficile de toucher quelqu'un ou de dire à quelqu'un qu'on l'aime. Le naturel n'est finalement pas vraiment naturel.
Sur un tournage, un acteur connu m'avait dit, en parlant d'un gamin que je coachais : "Il n'a qu'à être normal !" mais parfois les très jeunes enfants ont déjà tendance à être hors normes, un peu surdoués, dans le sens que s'ils veulent être acteurs et qu'ils ont été choisis, c'est qu'ils ont déjà une particularité ! Ce ne sont pas des enfants dits « normaux ». Et un enfant reste un enfant. Par exemple, dans Oscar et la dame rose, le jeune acteur apprend sur 12 jours de temps qu'il attrape le cancer et il meurt. Il ne peut pas être dans le naturel, il doit bien comprendre qu'il s'agit ici d'une ligne fictive et il doit essayer de s'inspirer des acteurs adultes avec qui il joue pour entrer dans la profondeur ou dans la dimension de ce personnage.
Si l'on est dans un film d'époque, le phrasé n'est plus le même en 2018. Il faut parfois déconstruire pour aller dans quelque chose de plus vrai.

C. : Est-ce que tu assistes aussi aux répétitions que le réalisateur fait avec ses comédiens en amont du tournage ?
C. F. : Pour L'échange des princesses, j'ai accompagné le réalisateur Marc Dugain. On était ensemble pour faire fonctionner ces jeunes comédiens qui devaient aller vers l'incarnation de personnages typés. Il y en avait un qui était assez maladroit, timide et qui devait adopter une démarche spécifique, une autre comédienne de 8 ans qui devait jouer un personnage prétentieux. Je faisais des propositions au réalisateur qui me donnait son feu vert s'il était intéressé. On a travaillé main dans la main. Dans le meilleur des cas, ce travail de construction de personnages doit se faire en amont et cela facilite une relation de confiance entre le réalisateur, les comédiens et le coach. Une fois qu'arrive le tournage avec parfois une équipe technique très conséquente, les acteurs sont plus à l'aise pour jouer.

J'étais là pendant le tournage pour permettre aux acteurs de continuer à répéter et je leur donnais même des indications pendant les scènes quand je pouvais me le permettre. Ce n'est pas toujours évident car on est toujours dans une sorte de subjectivité. Parfois, j'aimerais que les comédiens aillent beaucoup plus loin mais je me tais car ce n'est pas mon film. S'ils sont justes, c'est déjà ça.

C. : Quel type de travail effectues-tu avec les comédiens ?
C.F. : Il n'y a pas vraiment de recette. J'essaie toujours de voir le type de projet, d'agir en fonction de l'âge de l'enfant, de son expérience dans le milieu du théâtre ou du cinéma. Parfois, il faut même leur expliquer pourquoi on doit refaire plusieurs fois les prises.
Pour Boule et Bill, par exemple, l'enfant était très jeune et j'ai dû lui faire un tableau métaphorique en lui disant qu'on était comme sur un navire. Le réalisateur était le commandant qui décidait si on pouvait continuer ou non en fonction des autres départements du film que j'associais avec les différents lieux d'un navire : salle des machines, cuisines, etc.
Une fois que tous les responsables des postes étaient contents, on pouvait continuer. Les jeunes enfants en ont vite marre de refaire les scènes et cela leur permettait de mieux comprendre et d'être plus patients.
Pour L'échange des princesses, c'était différent car il fallait créer des personnages et les acteurs devaient se familiariser avec un langage, différent du langage actuel. Il fallait que ce soit crédible, c'était plutôt le type de travail qu'on peut rapprocher de celui d'une école de théâtre. Un des personnages, interprété par Igor Van Dessel, doit accéder au trône très jeune, vers 13 ans, et il est très lunatique. Il fallait que l'acteur soit ancré dans la réalité pour dire son texte alors que son personnage est lunatique, dans les airs. C'était un gros travail sur le corps qui a aussi son langage. On existe aussi dans les silences, dans les regards, dans ce qui se passe entre les lignes.

C. : Tu travailles aussi avec des acteurs adultes ?
C. F. : En été, on avait organisé des ateliers résidentiels à St Petersbourg et en Italie. De fil en aiguille, les participants du stage avaient demandé d'être coachés pour faire un long-métrage. Dans ce cadre-là on a écrit et réalisé un film avec ma compagne, Vera, en collaboration avec ces acteurs-là et produit avec l'aide de la région Lombardie. Ce sont des adultes qu'on a coachés pour qu'ils arrivent à être des acteurs. Dans le premier film, qui n'est pas encore sorti, le résultat est assez bluffant. Dans certaines scènes, les acteurs jouent tellement bien qu'on croit parfois qu'il s'agit d'un documentaire. On a dû rajouter un panneau à l'intérieur du film, à la Brecht, pour préciser que les acteurs étaient en train de jouer.
Parfois, dans le cadre des stages qu'on organise, il y a des comédiens professionnels qui viennent se ressourcer, des réalisateurs comme Nicolas Boucart, qui veulent se mettre à la place d'un acteur sur un plateau pour donner de meilleurs conseils lors du tournage.
Pour La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, j'avais coaché un vrai avocat qui devait jouer le président d'un tribunal. J'ai essayé de l'épauler pour qu'il soit le plus juste possible. Dans la réalité, un avocat aurait suivi le dossier pendant des mois et des mois. Or, un acteur doit jouer qu'il est au courant de tout l'amont. Il y a un gros travail sur le phrasé. L'acteur ne peut pas hésiter, il fallait trouver une manière de parler, il fallait surconnaître son texte pour pallier toute modification inattendue pendant le tournage. Parfois, pour certaines phrases du texte, on bugge sans comprendre pourquoi et ce n'est pas parce que l'acteur est moins intelligent. Dans ce cas de figure, je dois faire un travail pour que l'acteur accepte de répéter encore et encore pour ne plus bugger.

C. : Ton travail de coach doit beaucoup t'aider dans ton travail d'acteur.
C.F. : Oui, car on pourrait croire que je peux me coacher moi-même et que je ne tombe pas dans les écueils dans lesquels on peut tomber. Je mets un point d'honneur à connaître mon texte pendant les répétitions pour être le plus disponible possible par rapport à ce que le réalisateur va me dire. Parfois, on se retrouve sur des projets où le metteur en scène se contente des talents d'un comédien et nous, en tant que comédiens, on essaie de trouver des astuces à l'intérieur de nous pour augmenter le niveau puisque le metteur en scène ne les trouve pas. On doit faire des propositions et être dans une sorte de désobéissance. Un spectacle peut être mauvais mais cela n'empêche pas les acteurs d'être bons, ils doivent se sauver eux-mêmes pour essayer d'être le plus justes possible.

C. : Quand tu coaches un acteur, sa performance dépend de toi.
C.F. : Oui, en quelque sorte, même si l'objectif n'est pas de recevoir une médaille mais il ne faut pas oublier que parfois certaines personnes travaillent en amont, dans l'ombre, et c'est bien de reconnaître leur travail. J'aime bien alterner les deux métiers. Et puis, il y a une réalité économique pour les artistes de plus de 50 ans. C'est plus difficile de trouver du travail donc il faut être capable de faire plusieurs métiers dans la même sphère. Dans le monde du cinéma, on a des subsides mais dans le monde du théâtre, j'ai l'impression de gagner la même chose qu'il y a 20 ans alors que la vie est quatre fois plus chère... L'artiste a une posture assez complexe dans la société, on lui laisse peu de place et peu d'opportunités. C'est difficile aujourd'hui de faire quelque chose d'artisanal. C'est donc pour cela qu'il faut être multitâches.

C. : Est-ce que tu as des préférences dans ton travail ?
C.F. : En tant que comédien, je n'ai pas de préférence. Tous les projets auxquels j'ai participé sont toujours bien tombés. J'aime aussi donner cours à des jeunes car c'est toujours important d'être au courant de la réalité des jeunes pour ne pas être trop vite dépassé, pour ne pas rester enfermé dans son monde. Pour les films, c'est toujours plus facile de les organiser avec des non-professionnels car les budgets sont vraiment moindres et parce qu'on connaît leur manière de travailler puisqu'on les a coachés précédemment. On peut leur demander beaucoup plus qu’à des comédiens bien établis.


STAGE / WORKSHOP RESIDENTIEL d’initiation et/ou de perfectionnement de théâtre adultes  avec 
Carlo Ferrante et Vera Van Dooren

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