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50/50 - Les Amants d'assises de Manu Bonmariage

Publié le 02/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Réalisateur belge, Manu Bonmariage est né le 29 mars 1941 à Chevron près de Liège. Après des études en sciences communicationnelles à l'Institut des hautes études de communications sociales à Bruxelles, il travaille comme caméraman de long métrage et de fiction, et comme caméraman reporter à la Radio-Télévision belge francophone, où il devient réalisateur. Il enseigne également le reportage à Louvain-La-Neuve. Adepte du cinéma-vérité, il est le père spirituel de l'émission TV « Striptease ». Il a réalisé une cinquantaine de documentaires ainsi qu'un long métrage de fiction « Babylone » en 1990.

50/50 - Les Amants d'assises de Manu Bonmariage

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Quelle place tient Les amants d'assises dans votre filmographie ?

Manu Bonmariage : Il faut rappeler, avant tout, que j'ai beaucoup travaillé pour la télévision et que j’ai commencé par être cadreur. Apprendre à tenir une caméra me paraît très sain quand on veut faire du cinéma. Cela peut paraître une évidence, mais pourtant… La caméra a toujours été pour moi un véritable prolongement de mon corps et j’ai toujours été, dans tous les projets, à la fois cameraman et réalisateur. Lorsque j’ai réalisé Les amants d'assises, j’avais déjà 51 ans et pas mal de films derrière moi, des films qui allaient toujours dans le sens d’un constat social. Les amants d'assises tient une place fondamentale, palpitante dans ma production et la réalisation pour la télévision et c’est sans doute celui qui reste dans l’esprit des gens.

 

A.F. et S.P. : Comment ce documentaire a t-il été reçu à l'époque ?

M.B. : Au départ, le public le trouvait un peu « osé » ou « mal venu », mais également interpellant et nécessaire, car il nous forçait à voir et réfléchir au-delà de nos pensées ou des réflexions hâtives. Filmer le procès d’amants coupables d’un meurtre était un sujet risqué, c’est vrai. En même temps, tous mes documentaires ont abordé des sujets un peu risqués. Oser, c'est très important pour moi ! C'est d'ailleurs le titre d'un de mes tout premiers long-métrages, J'ose. À l’époque, certains m’ont accusé de porter un regard malveillant sur les protagonistes, d’autres de prendre la justice en dérision, de la dévaloriser. Moi, je n'étais pas là pour rétablir la vérité, ce n’était pas du tout ce que je cherchais. Ma démarche était uniquement et simplement de porter un regard sur la difficulté d'être. Il ne s'agissait pas d'un documentaire judiciaire, mais de l'histoire de deux personnes qui s’aiment, deux amants. Mais sans doute que le cinéma direct reste toujours un piège... J’étais vraiment embarrassé par les réactions quelquefois, car ma position était claire : je ne voulais être ni voyeur, ni censeur, ni confesseur ou conseiller.

 

A.F. et S.P. : Mais le film a eu une véritable reconnaissance…

M.B. : Absolument, oui ! Il a eu un succès incroyable. C’est sans doute l’un de mes longs-métrages qui a eu le plus d’audience, qui a été acheté par le plus grand nombre de télévisions dans le monde. Je n’ai pas les chiffres, mais ce n’est pas très important non plus...

 

A.F. et S.P. : Comment expliquez-vous l’impact de ce film ?

M.B. : Il y a plusieurs raisons, je pense. Tout d’abord, c’est la première fois que l’on tournait dans un tribunal. Avant Les amants d'assises, je pense qu’aucun tribunal n’avait autorisé la présence de caméras durant les débats. Cela posait pas mal de questions et permettait de comprendre à quel point un procès est affaire de mensonges (réels ou par omissions), plus que de vérités. Les scènes du tribunal, avec les questions du président et les plaidoiries des défenseurs, construisent une dramaturgie qui est assez fascinante et qui a pu captiver les spectateurs. Ensuite, cela tient sans doute aux personnages eux-mêmes et au regard que je porte sur eux. Christian, quoi qu’il ait fait, est un homme qui suscite la compassion et Marie-Louise, qui est bien plus ambiguë, suscite, elle, le mystère… Je crois que le film montrait clairement à quel point j’étais complètement coincé entre eux deux, entre ces deux amants, dans le piège d’une caméra naïve, abasourdie !

 

A.F. et S.P. : Les amants d'assises a t-il changé quelque chose à votre carrière ?

M.B. : Je n’ai jamais pu me prendre vraiment au sérieux. J’ai toujours eu besoin de remettre tout en question, à chaque fois que je faisais quelque chose… et particulièrement peut-être dans ce cas précis où il s’agissait d’essayer d’être d’une objectivité totale. Je crois que Les amants d'assises a toujours été considéré comme mon meilleur film, une réussite du « vrai cinéma direct », mais je ne le considère pas pour autant comme le meilleur, personnellement… Il n’y a pas de meilleur, chacun demeure une aventure palpitante, exaltante et toujours frémissante. Une aventure qui me fait à chaque fois trembler !

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