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Les Apparences de Marc Fitoussi

Publié le 10/09/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Affreux, Sales et Méchants

 « Une implacable réussite dans l’esprit de Chabrol » clame haut et fort l’affiche des Apparences, le septième film de Marc Fitoussi (Copacabana, Pauline Détective, La Ritournelle), mais aussi son premier thriller. Chabrolien dans son étude de mœurs, hitchcockien dans le plaisir malsain que le réalisateur prend à plonger son héroïne dans de sales draps, italien dans son humour féroce, pourrions-nous ajouter…

La chose la plus importante dans la vie est de sauver les apparences

Du cinéma de Claude Chabrol, grand brocardeur des milieux bourgeois devant l’éternel, on retrouve l’ironie mordante, la peinture cruelle d’un microcosme détestable à souhait : la haute société des expatriés français à Vienne, engoncés dans leur médiocrité et leur suffisance. Les couples huppés semblent passer l’essentiel de leur temps à dîner dans des soirées mondaines, entre foie gras, opéra et parfums hors de prix, et à critiquer leurs semblables. Les femmes, en particulier, sont des commères pour qui la médisance est un sport de compétition pratiqué dans des salons de coiffure très exclusifs. La chose la plus importante dans la vie de ces pipelettes est de sauver les apparences, de ne jamais alimenter le qu’en dira-t-on, de faire bonne figure en toute circonstance. Peu importe que leurs sourires hypocrites de façade cachent des secrets honteux ! Au diable ces « ploucs » moins sophistiqués qui ne comprennent pas les codes de leur société privilégiée ! C’est ainsi que le personnage principal, Eve (Karin Viard), issue d’une famille de prolos, rejette systématiquement les conseils et les opinions de sa brave maman, devenue trop embarrassante pour elle. 

 

Les Apparences de Marc Fitoussi

 

Ève et Henri Monlibert (Benjamin Biolay) forment un couple très en vue. Parents d’un petit Malo, ils ont tout pour être heureux : lui est un chef d’orchestre mondialement applaudi, elle travaille à l’Institut français, à la tête de la Médiathèque. Une vie apparemment sans fausse note, jusqu’au jour où, par hasard, Eve découvre la liaison d’Henri avec Tina (Laetitia Dosch), l’institutrice de leur fils. Le monde d’Eve s’écroule. Non seulement parce qu’elle aime sincèrement Henri, mais surtout parce qu’elle est terrifiée par la possibilité d’un scandale public. Sera-t-elle la risée de ses amies ? Osera-t-elle encore s’afficher devant ses collègues ?... Plutôt que de confronter Henri et de tenter de régler le problème en adulte, Eve va accumuler les mauvaises décisions. 

Le scénario accumule les retournements de situations

Comme dans les meilleurs thrillers sous influence hitchcockienne, le scénario accumule les retournements de situations habilement écrits et développés, qui confèrent au film un aspect jouissif et souvent drôle, tant les tuiles, parfois même les plus invraisemblables, vont s’accumuler dans la vie de cette femme qui n’apprend pas de ses erreurs et qui persiste à s’enfoncer elle-même dans des situations inextricables, se retrouvant bientôt dans la peau de ce qu’elle a toujours craint de devenir : une faible victime.

Il est évident que les acteurs prennent un plaisir immense à jouer cette partition entre drame et ironie. Eve est une variation sur le personnage détestable que Karin Viard jouait dans Jalouse en 2017, mais, si l’actrice peut aujourd’hui jouer ce genre de rôle dans son sommeil, elle n’en reste pas moins fascinante à observer. Benjamin Biolay, à qui la lassitude va comme un gant, excelle dans le stoïcisme faux-cul, ne retrouvant un semblant d’intérêt pour son épouse que lorsque cette dernière part en vrille. Les seconds rôles ne sont pas en reste : l’irrésistible Laetitia Dosch s’en donne à cœur joie lors d’une scène hilarante où, de victime, elle devient un génie de l’improvisation. Pascale Arbillot campe une peste hautaine avec délectation, tandis que Lucas Englander est une découverte dans le rôle d’un dangereux pervers narcissique au grand cœur. Enfin, dans le rôle a priori secondaire d’une vieille dame agaçante, sans cesse éconduite par Eve, Evelyne Buyle va peu à peu devenir le cœur du film. Co-production franco-belge oblige, on retrouve dans des seconds rôles quelques acteurs de chez nous. Citons Laurence Bibot en commère et la jeune Fantine Harduin (la petite héroïne d’Adoration) en baby-sitter. 

 

Les Apparences de Marc Fitoussi

 

Si la mise en scène de Marc Fitoussi s’avère bien trop sage, Les Apparences est tiré vers le haut grâce au score tout en cuivres et en cordes de Bertrand Burgalat, qui rend ici un vibrant hommage aux partitions signées Bernard Hermann pour les meilleurs films d’Hitchcock. C’est donc grâce au musicien, aux surprises d’un scénario malin qui privilégie la farce au suspense et à sa méchanceté réjouissante rappelant les comédies italiennes des années 60-70, que Les Apparences sont sauves.

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