Cinergie.be

Little Girl Blue de Mona Achache

Publié le 03/04/2024 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

Assise face à la réalisatrice Mona Achache, Marion Cotillard la regarde, nous regarde. Puis, comme prise d’une pulsion, d’une intuition, elle se saisit des affaires de la mère de celle-ci, Carole Achache, à laquelle le film est consacré et qui a choisi en 2016 de mettre fin à sa vie. Une vie douloureuse, complexe, multiple. Elle commence alors, à se draper des attributs de cette femme. Comme pour la faire renaître.

Little Girl Blue de Mona Achache

Le film s’ouvre sur cette transformation. Lentilles marron. Perruque. Vêtements. Sac à main et autres bijoux. Marion Cotillard, oscarisée pour sa métamorphose en Edith Piaf dans La Môme, cède bientôt la place à Carole allant jusqu’à synchroniser le mouvement de ses lèvres aux enregistrements de la voix de celle-ci. 

Un acte formel loin d’être gratuit, car il sert de porte-voix à un témoignage. Celui des abus sexuels qui s’instillent, comme une malédiction, au sein de la lignée de Mona Achache : sa grand-mère Monique ayant été agressée lors d’une corrida à Pampelune. Sa mère avant été la victime de Jean Genet, “l’écrivain-voyou” comme le surnommait deux autres Jean (Jean-Paul Sartre et Jean Cocteau) et enfin Mona, elle aussi abusée. Des histoires personnelles qui, avec les récits de Judith Godrèche ou Vanessa Springora, dessinent aussi les contours d’une domination masculine, d’une manipulation sexuée qui n’a de cesse de se répéter, et qui vise à soumettre les femmes, à les enfermer. 

Cet enfermement s’illustre dans le dispositif théâtral qui habille le film. D’où le choix du huis clos, limitant le tournage à un appartement, sur le sol duquel se répartissent les archives photographiques et écrites de Carole Achache, et dont les murs expriment la séquestration de la parole de ces femmes. Jusqu’à la cassure, la brisure par un coup de pied parfaitement placé de Marion Cotillard dans ce mur p(énis)orteur. Pour briser le quatrième mur, sortir de la fiction et enfin conter la vérité. 

Une vérité qui est aussi celle d’une transmission. Une histoire de poupées russes, réparties sur quatre générations, et qui permet aussi de ramener à la vie les gentils fantômes et les bons souvenirs. Monique Lange avait fait, dans Les Cahiers déchirés, le portrait d’un père fantasque et cocasse. Carole Achache dans Fille De, le récit de l’amour de sa mère Monique pour les Poissons-Chats (surnom qu’elle donnait aux homosexuels). Et Mona celui de Carole. Le récit d’un amour. D’une lignée d’artistes aussi fous et excentriques que touchants et attendrissants. Des êtres durs parfois. Des présences qui restent pourtant, et avec lesquelles il s’agit de composer toute sa vie.

Tout à propos de: