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OFFSCREEN : General Massacre (1973), de Burr Jerger

Publié le 24/04/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le fou de guerre

Chaque année, le festival Offscreen déterre une pépite oubliée et méconnue dans le cadre de son module « Cinéma Bis belge ». Des raretés qui, bien souvent, n’ont pratiquement pas été projetées depuis l’année de leur sortie. C’est le cas de cet obscur et mal-aimé General Massacre, écrit et réalisé par un certain Burr Jerger (1917-1982), américain exilé en Belgique, qui, en collaboration avec le flamand Herman Wuyts (crédité comme coscénariste, directeur de la photographie, monteur et assistant-réalisateur), nous propose un pamphlet antimilitariste qui décrit les effets dévastateurs des conflits sur l’esprit ravagé d’un général devenu complètement fou, en attente de son procès pour avoir violé le code militaire en commettant des crimes de guerre (le massacre d’une centaine de civils) au Vietnam.

OFFSCREEN : General Massacre (1973), de Burr Jerger

De belles intentions, mais le film, controversé même à l’époque, fut lourdement censuré (notamment en Belgique et en France) et n’a jamais trouvé de distributeur, son exploitation en home video se limitant à une VHS aujourd’hui introuvable. En cause : deux scènes insoutenables où le réalisateur exécute lui-même devant la caméra, une vache et deux canards à la Kalachnikov. Si ce pur film d’exploitation, très bis dans la forme (acteurs épouvantables, nudité gratuite, inceste, violence extrême), peut s’avérer amusant au 36e degré et ne manque pas de qualités plastiques (la photo signée Herman Wuyts élève le niveau relatif du projet), il pose également la question de ce que l’on peut se permettre au nom de l’art. 

Burr Jerger, acteur et cinéaste au talent très limité dont ce film restera peu ou prou le seul titre de « gloire », incarne lui-même ce général qui débarque en Belgique, dans la banlieue d’Anvers, et fait connaissance avec sa fille à peine adulte, fruit de sa liaison avec une officière nazie qu’il a autrefois assassinée dans un accès de jalousie. Il est accompagné de Saï, un sous-fifre (ou serait-il un esclave ?) vietnamien qu’il martyrise jour et nuit, l’obligeant à s’entraîner à la dure pour un prochain conflit, le duo crapahutant dans un ruisseau comme s’ils étaient encore dans les rizières enflammées. Sadique, celui que la presse surnomme « Général Massacre » passe son temps à recréer des scènes guerrières autour de sa villa et à entretenir de malsains fantasmes incestueux envers cette fille qui est le portrait craché de sa mère. 

Entre deux exploits, nous observons le Général se défendre de ses crimes devant une commission d’enquête, et c’est là que sa vraie nature se dévoile : raciste, paranoïaque, atteint de la folie des grandeurs, il cite Richard III, Titus Andronicus, Genghis Khan ou encore le Général Patton comme modèles et crache au visage des vaincus, qui, selon lui, ne méritent pas le respect. Il voit la guerre comme l’état naturel de la race humaine, la paix n’étant selon lui que la conséquence regrettable de bons traités et de mauvais généraux ! Nostalgique de la Seconde Guerre mondiale, il considère que la loi du plus fort est la seule valable et voit les pacifistes comme ses ennemis jurés. Il estime même que l’on devrait s’excuser auprès des officiers nazis exécutés à Nuremberg ! Si le personnage est une mise en garde légitime contre les dérives du fascisme ordinaire, Jerger est loin, très loin, de nous livrer une prestation à la Brando dans Apocalypse Now ou un pamphlet kubrickien digne des Sentiers de la gloire… 

Autoproduit, tourné avec un budget dérisoire, sans le moindre subside, avec un casting plus ou moins amateur, General Massacre vaut son statut de « film scandaleux » davantage à son parfum de soufre qu’à ses véritables qualités. Mais en tant que document rare (le film avait pratiquement disparu de la surface de la planète) d’un cinéma définitivement révolu, General Massacre s’avère inestimable... qu’on le veuille ou non !

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