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Quartier Libre de Vinciane Zech et Virginie Saint-Martin

Publié le 23/03/2018 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Comme en danger, le film s'annonce par un son. Une ligne basse convoquant le cinéma de David Lynch dans nos belges contrées. Ce son sourd provient en fait d'une guitare, bien plus douce, bien plus blues, qui accompagnera la scène - comme le film - jusqu'à leurs aboutissements. Un plan aérien au travers des fumées rurales. On imagine un camp indien modernisé aux idéaux contemporains. Alors, une voix-off présente l'endroit. Tout est posé, on a déjà compris.

La Baraque est un quartier quarantenaire autogéré. Un squat d'architectes (ex-étudiants de l'Université Catholique de Louvain), une agglomération de roulottes, cabanes et autres maisons créées par un ensemble de mains et d'esprits, par ce petit groupe néolouvaniste autour d'un rêve central de collectivité et d'indépendance. Mais la ville - plus administrative, plus officielle - vient bousculer l'idylle avec un projet urbanistique : la construction d'un parking de plus de trois mille places.
Rapidement, les interviews s’enchaînent et si le systématisme du dispositif (très fréquent dans ce type de films documentaires à petits budgets) peut se voir comme manquant d’originalité qu'importe puisque ce sont les personnages - tous plus vivants les uns que les autres - qui semblent fasciner Vinciane Zech et Virginie Saint-Martin, les réalisatrices. Mais doucement, le propos se meut vers un traité plus engagé, plus politique, vers un clin d’œil aux allures de doigt tendu à une société dévorant petit à petit les miettes de liberté(s) tombée(s) de la table de ses précédents festins. Les monstres Caterpillar s'élèvent au dessus des cimes des arbres et si celles-ci les dépassent, c'est d'un coup de manette qu'ils les font choir. Et bientôt, recouverts par des kilotonnes d'asphaltes et de métaux encore chauds, tout ce petit monde se verra tu. Dès lors que les politicailleurs (contre lesquels le film charge tête baissée) se foutent des êtres et de la nature pré-existante, seul compte le profit et la rentabilité démographique. Et le film d’opposer, avec une certaine évidence visuelle, la destruction industrielle à la créativité manuelle des habitants de la Baraque.
C'est donc plus par son sujet qu'existe Quartier Libre tant sa forme ne se veut jamais marquante. Une simplicité certainement due à un budget réduit à son strict nécessaire comme à une volonté de s'effacer derrière un élan communautaire aussi rare que fascinant. Embrasser les pensées de ses protagonistes pour les transmettre à un public plus large, voilà une manière de prendre position dans un certain cinéma documentaire.
Le film peut alors se voir comme une hagiographie d'un lieu à travers ses âges, ses architectures, ses habitants. Une ville dans la vie, ou l'inverse on ne sait plus. Perdus dans un imaginaire rendu réel par une belle bande d'utopistes en cours de désillusion. De ceux qui bottent au cul du monde, d'autres mondes bien plus foutraques, plus fragiles et donc, bien plus précieux.
Puis restent les enfants, héritiers forcés d'un idéal qui ne les concerne peut être plus, qu'ils fuiront sans doute (on sait à quel point on aime fuir ce que représentent nos parents) pour laisser derrière eux une parenthèse enchantée, un idéal d'enfance libérée à d'autres vieux rêveurs qui y croiront encore. Ne leur reste qu'à emporter le terreau des luttes impérieuses. La plus belle des traditions à transmettre.

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