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Rencontre avec Pascal Hologne & Céline Masset, responsables du 6e Festival International du Film de Bruxelles (BRIFF)

Publié le 23/06/2023 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

"Ce qu'un festival propose ne remplacera jamais le salon le mieux équipé du monde"

Dernier festival de la saison, celui du long-métrage de Bruxelles en arrive à sa 6e édition. Une septantaine de films seront à découvrir entre le 27 juin et le 5 juillet, avec une majorité d'avant-premières, dont la palme d'or cannoise Anatomie d'une chute de Justine Triet.

Rencontre, à quelques jours du début des hostilités, dans la petite fourmilière que sont leurs bureaux ixellois d'Un soir, un grain, avec son duo d'instigateurs, Pascal Hologne et Céline Masset, qui, à terme, espèrent rendre leur «BRIFF» aussi incontournable que le Festival du Court-Métrage de Bruxelles (BSFF), qu'ils ont lancé en 1998.

Cinergie: C'est donc votre 6e festival dédié au long-métrage. Si on est encore loin de vos vingt-six éditions de votre équivalent pour le court, vous commencez à être rodés?

Pascal Hologne: Un sixième oui, mais dont deux en plein Covid! En fait, on a eu deux éditions «test», deux suivantes rocambolesques et la préparation de la dernière, organisée plus ou moins comme il faut, a encore été perturbée par l'épidémie. C'est donc la première fois depuis 2019 qu'on a pu préparer le festival normalement. J'aurais donc du mal à parler de rodage (sourire).

Céline Masset: Tout est encore neuf. On a encore plein de choses à inventer et à affiner. Les collaborations naissent à peine...

P.H.: On commence à voir les curseurs placés là où ça nous convient, mais pas encore partout. Mais c'est justement ça qui est excitant et qui nous a poussés à créer ce festival, c'est de tester de nouvelles choses et de nous remettre en question. Une réinvention qui vaut aussi pour notre Festival du Court, même si là, on a délégué une bonne partie de la gestion à un autre duo, Frédéric Martin et Romane Pangrazzi. De toute façon, si un festival ne se réinvente pas en permanence, c'est simple: soit il devient un "vieux con", soit il meurt!

 

C: Pour cette édition, l'un des principaux rendez-vous est évidemment la première belge de la Palme d'Or de Cannes...

C.M.: Oui, en présence de sa réalisatrice, pour un film sur lequel on s'est positionné avant-même Cannes, et qui concourt en compétition internationale (8 films), composée d'œuvres pour la plupart montrées à Berlin, Cannes, San Sebastian ou Venise. Cela reste l'un de nos trois principaux axes, avec la Director's Week (7 films), dédiée aux nouveaux auteurs européens et bien sûr, la compétition nationale (10 films), particulièrement qualitative, riche et variée cette année, avec quatre documentaires et six fictions. Et c'est une comédie sélectionnée aussi sur La Croisette, Le Syndrome des amours passées d'Ann Sirot et Raphaël Balboni, qui ouvrira le bal de la section belge. On en est fiers, car ces deux réalisateurs ont grandi avec nous, à travers le Festival du Court.


P.H.: En à peine un an ou deux, on a déjà l'impression que nos rapports avec les dépositaires de films (distributeurs, producteurs, réalisateurs) s'équilibrent. Ce qui facilite forcément notre travail de sélection, qui monte en puissance. On a d'ailleurs beaucoup d'avant-premières nationales, mais aussi mondiales.

C.M.: Et de nombreux invités en marge des séances, à commencer par Alex Lutz, qui ouvrira le festival à l'UGC de Brouckère avec son nouveau film Une Nuit. Simon Baker, l'acteur de la série The Mentalist, qui viendra pour Limbo. Pierre Jolivet aussi, qui viendra parler des Algues Vertes, dans la section Green Planet, et bien d'autres...

 

C: Si votre festival a la particularité de dispatcher ses séances dans quatre cinémas (Bozar, Galeries, Palace et UGC) de la capitale, son cœur reste bien Place de Brouckère...

C.M.: Oui, le village se situe au piétonnier, avec notre chapiteau. C'est un espace important, car c'est un lieu de rassemblement culturel gratuit, où on propose des concerts qui le sont tout autant. Car au-delà de la salle de cinéma, on tient à ces moments de convivialité. On est juste à côté de l'UGC, à deux pas du Galeries et du Palace, et pas si loin de Bozar. Puis, c'est là qu'on propose aussi nos séances en plein air de films cultes, comme Beetlejuice de Tim Burton ou Ghostbusters d'Ivan Reitman. Et où on dévoilera les deux premiers épisodes de la nouvelle saison de la série Baraki.

 

C: D'autres événements à mentionner?

C.M.: Des classiques (Toni, de Jean Renoir, Festen, de Thomas Vinterberg, Pour une poignée de dollars, de Sergio Leone...), diffusés en collaboration avec la Cinémathèque de Bologne, des masterclass (avec le script doctor américain John Truby, l'autrice Adeline Dieudonné), des rencontres avec des réalisateurs (Ira Sachs, Patric Chiha) et des comédiens (Anaïs Demoustier, Tom Mercier), un marché de coproduction, l'atelier Pitch, qui relie de futurs talents à des professionnels. Du court-métrage aussi, avec les quatre films qui forment le deuxième volume de La Belge Collection, dont nous avions diffusé le 1er en 2020. Nouveauté aussi, les treize films de fin d'études d'une école de cinéma (la HELB), pour impliquer les étudiants. Et puis le BRIFF se passe aussi en dehors de Bruxelles, avec des décentralisations à Liège (Sauvenière), à Namur (Caméo) et à Anvers (De Cinema), après le festival, où on aura une rétrospective. Ce sont des choses qu'on fait depuis plus de vingt ans avec le Festival du Court, d'ailleurs.

 

C: Au final, organiser un festival de longs-métrages, c'est radicalement différent que le faire pour le court-métrage?

C.M.: Aaah, ce sont deux écoles! (sourire).

P.H.: Disons que contrairement au Festival du Court qui, avec le temps, est devenu dominant et nous permet d'y faire un peu ce qu'on veut, c'est moins le cas ici. On doit gérer des problèmes d'exclusivité, de priorités, d'agendas de sorties, d'ayant droit, etc. Mais c'est logique: on est encore un jeune festival, dans un contexte festivalier très concurrentiel, belge ou international. Il faut donc parfois se battre pour obtenir ce qu'on veut...

C.M.: L'accompagnement, la gestion des invités et les rapports avec la presse diffèrent, aussi. Pour le court-métrage, on est avec de jeunes réalisateurs, débutants, enthousiastes et qui n'ont pas de revendications. Ce qui n'est pas toujours le cas avec le long, même si on a la chance, avec notre formule, de constater que les gens s'adaptent. Mais tout évolue d'édition en édition. On sent que le festival commence à être reconnu, ce qui est bien sûr motivant.

P.H.: Et ne perdons pas de vue les atouts belges: notre bonhomie, notre modestie, la reconnaissance de notre cinéma à l'étranger, tant francophone que néerlandophone. Bruxelles aussi, qui est devenue une ville très attractive pour les artistes, ces dernières années. Et puis le nœud qu'on constitue, avec des facilités de transports, aériens, ferroviaires ou routiers.

C.M.: C'est clair qu'on ne doit jamais expliquer où est la Belgique. Notre pays attire!

P.H.: Bon par contre, niveau hôtellerie, ce n'est pas toujours évident. Heureusement qu'on peut compter sur de précieux partenaires. Car Bruxelles propose tellement de choses, notamment au niveau culturel, qu'on doit trouver notre place. Après, le bouche-à-oreille fait son travail...

 

C: Preuve en tout cas qu'à Bruxelles, il y avait bel et bien une place à prendre, dans le long-métrage...
P.H.: Si on n'avait pas eu ce sentiment-là, on ne se serait jamais lancés (sourire). Bruxelles regorge certes de festivals de cinéma, mais chacun a sa propre identité, que ce soit le BIFFF (Festival du Film Fantastique), Anima (Festival du Film d'Animation), ou les deux nôtres, à présent.

C.M.: Notre envie remonte à il y a quelques années, quand on organisait en décembre le BE Film Festival, qui a quand même fait régner le long-métrage belge pendant treize ans. Dans le cas du long-métrage international, on a surtout attendu qu'une place se libère, car il y avait d'autres festivals bruxellois généralistes de long-métrage.

P.H.: On ne voulait pas entrer en concurrence avec qui que ce soit. Mais on était persuadé que notre modèle au Festival du Court, c'est-à-dire axé sur la convivialité, l'échange, la mixité de gens et cette ambiance bien belge, pouvait s'appliquer dans le long.

C.M.: L'idée aussi, c'était d'accompagner les gens du court vers le long. On avait parfois la frustration de perdre de vue des cinéastes révélés dans le court qui continuaient d'évoluer. À présent, on peut faire la jonction entre les deux.

 

C: Vous vous êtes d'emblée sentis soutenus?

P.H.: Certains nous ont pris pour des fous (sourire), mais ça ne les a pas empêchés de nous soutenir (rire)! Mais très vite oui, tout le secteur nous a vite accompagnés. La ville, la région, la Fédération...

C.M.: Certains, et on peut le comprendre, ont attendu de voir si le projet était cohérent. Mais c'est sûr que notre passif au BSFF a été précieux. On n'a pas sorti ce BRIFF comme ça: on a d'abord demandé des avis, des conseils.

P.H.: Sans oublier les salles de cinéma qui, dès la première édition, se sont impliquées niveau temps, en infrastructure et dans la programmation. De toute façon, jamais on n'aurait pu se lancer sans l'aide de tout le monde. Et si soutien général il y a, c'est bien la preuve d'un intérêt et donc, d'une raison d'être pour nous. On est quand même une équipe de 10 salariés, qui monte jusqu'à 35 personnes dans les mois précédents nos deux festivals. Et avec les bénévoles, jusqu'à 150 lors de l'événement.

 

C: Quant au choix de la date, fin juin: la météo souvent ensoleillée, les grands événements de football ou les examens scolaires ne vous ont pas effrayé?

P.H.: Non, car pour transcrire ce qui marche au Festival du Court, à savoir de prendre place de l'espace urbain public pour plus de convivialité, pour le village à l'extérieur, les projections en plein air, la période était préférable qu'en janvier, période à laquelle on a songé. N'oublions pas non plus qu'on a démarré en même temps que le piétonnier de Bruxelles, ce qui a fait sens. Et vu qu'on déborde maintenant sur juillet, en s'inscrivant dans le nouveau calendrier de la Fédération Wallonie-Bruxelles, cela ne pose même plus de problème pour les examens.

C.M.: De toute façon, chaque période a ses contraintes. Nous, on est content qu'il fasse chaud, que les gens profitent du soleil tout en allant en salles. Et chacun le sait: si les gens retournent au cinéma, c'est souvent pour autre chose que de simplement aller voir un film.

 

C. : Bref, à vous écouter, l'avenir semble radieux...
P.H.: Je pense que l'exploitation du cinéma en salles, qui souffre de la concurrence des plates-formes – ce qu'on regrette, bien sûr - a peut-être plus de mouron à se faire que les festivals. Car ce qu'on propose ne remplacera jamais le salon le mieux équipé du monde. En plus de voir un film sur grand écran avec d'autres gens, de les rencontrer et échanger avant et après, il y a tout ce côté événementiel, avec la présence de cinéastes et de comédiennes et comédiens. Et les cinéphiles peuvent avoir accès à toutes les séances avec un Pass (NDLR: à 38 euros).

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