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Nightman de Mélanie Delloye

Publié le 26/07/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

L’Origine du Mal

Alex (Eoin Duffy) et Damian (Mark Huberman) emménagent dans la campagne irlandaise, dans la maison d’enfance de ce dernier, un magnifique manoir dont ils ont hérité après le placement de la mère de Damian, sénile, en maison de repos. Alex, ancienne alcoolique, est sobre depuis deux ans, mais psychologiquement fragile et victime d’éprouvants cauchemars. Elle vient de découvrir qu’elle est enceinte et ne tarde pas à se sentir mal à l’aise dans ces lieux, d’autant plus que le comportement de son époux, autrefois doux et attentionné, change du tout au tout.

Nightman de Mélanie Delloye

Depuis leur arrivée, Damian, dont le père était un homme très violent, est pris de crises de somnambulisme : il sort pendant la nuit et ne se souvient de rien à son réveil. Pour ne rien arranger, les Tsiganes hostiles et adeptes de la chasse sauvage de la propriété voisine leur rendent la vie impossible avec leurs coups de feu incessants. Lorsque la police interroge le couple sur la disparition d’une vieille dame de la ville voisine, Damian leur ment et Alex comprend que quelque chose ne tourne pas rond…

Les coproductions belgo-irlandaises ont le vent en poupe, notamment dans le domaine du fantastique. Plusieurs de ces films ont récemment été chroniqués dans nos pages : Good Favour, Vivarium, Sea Fever, The Hole in the Ground, Hunted… des réussites aux concepts pas forcément très originaux, mais réalisées avec un classicisme réjouissant, qui font la part belle aux décors naturels et qui compensent des budgets souvent réduits par une belle inventivité, un sens aiguisé du suspense et un effort constant dans la caractérisation des personnages et la direction d’acteurs. Un discret renouveau du cinéma fantastique rural dont fait désormais partie Nightman, second film de Mélanie Delloye, après L’Indivision (2021).

Classique dans son déroulement (il s’agit après tout d’un énième déménagement à la campagne dans une demeure recelant de nombreux secrets), le récit fait se succéder différentes pistes pour mieux nous perdre : Damian est-il vraiment somnambule ou est-ce l’esprit d’Alex qui invente ces histoires ? Les cauchemars de la jeune femme seraient-ils prémonitoires ? Se serait-elle remise à boire en cachette ? Pourquoi Damian refuse-t-il de rendre visite à sa mère ? Qu’est devenue sa sœur Lily et pourquoi, lors d’une crise de somnambulisme, brûle-t-il toutes ses photos ? Enfin, pourquoi le grand pensionnat de Bridgewood, situé à 5 kilomètres de la maison et à l’abandon depuis 30 ans, obsède-t-il Damian ?

Si le récit est foisonnant, il s’avère peut-être trop ambitieux pour convaincre totalement, souffrant d’une sorte de trop-plein narratif ; la réalisatrice, en effet, semble ne pas toujours savoir ce qu’elle souhaite raconter en priorité : critique de la masculinité toxique par le biais du fantastique (Damian, sous l’emprise d’on ne sait quelle force surnaturelle, subit une transformation semblable à celle de Jack Nicholson dans Shining), récit de maltraitances enfantines qui ont abouti sur une amnésie et des traumatismes non résolus, problèmes psychologiques d’une jeune femme alcoolique… tout ça à la fois ?... Dès lors, le grand thème cronenbergien du film, à savoir : « Le Mal est-il transmissible génétiquement ? N’est-il rien d’autre qu’une mutation ? » se retrouve un peu dilué dans la masse d’informations.

Il n’en reste pas moins un film de terreur sobre, mais terriblement efficace, parfois choquant, dont les moments de tension, très réussis, ainsi que l’implication de deux acteurs tout en nuances, font vite oublier les quelques défauts narratifs.

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