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Samuel Fuller : Un Homme à Fables de Jean Narboni

Publié le 10/01/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Livre & Publication

C’est de France et de nulle part ailleurs qu’est venue la reconnaissance critique. Godard et Truffaut, notamment, lui ont consacré des articles marquants et élogieux. Godard, l’a fait apparaître dans Pierrot le Fou et le comparait volontiers, d’un point de vue stylistique, à Gance, Stroheim et même Murnau. Truffaut, qui avouait volontiers avoir plus d’une fois copié ses effets de montage, disait de lui « Je sors toujours d’un film de Samuel Fuller admiratif et jaloux, puisque j’aime recevoir des leçons de cinéma. » La liste des admirateurs de Samuel Fuller s’allongera avec la génération suivante : Martin Scorsese déclare avoir été marqué durablement par Le Port de la Drogue et Violences à Park Row et souligne cette capacité qu’il avait à filmer l’action à travers le mouvement. Tarantino le considère comme l’un de ses cinéastes favoris. Et l’on retrouve, sans le savoir, l’influence de ses images dans la plupart des films de genre actuels.

Samuel Fuller, éditions CapricciOr, aux Etats-Unis, Samuel Fuller était considéré de son vivant comme un simple réalisateur de séries B. Sa carrière a décollé à la fin des années 40 grâce à une poignée d’œuvres (polars, westerns, films noirs, films de guerre) farouchement indépendantes, produites en catimini au sein ou en dehors des grands studios. Afin de conserver un maximum de liberté sur le produit fini, Fuller privilégiait exclusivement les budgets réduits et abordait des histoires « de basse extraction », inspirées des romans « pulp » des années 50. Des films remplis de marginaux déclassés (pickpockets, malades mentaux, prostituées, orphelins, etc.) en quête d’une rétribution pour leurs malheurs. Une approche qui lui permit, de ses débuts avec J’ai tué Jesse James (1949) à sa mort en 1997, de survivre dans l’industrie en abordant en 22 films, des thèmes qui lui étaient chers : la guerre et ses effets dévastateurs, la folie et surtout le racisme, qu’il avait en horreur, sujet central de Dressé pour Tuer, The Crimson Kimono et J’ai vécu l’enfer de Corée... À l’instar de sa vie privée mouvementée, les chefs d’œuvre de Fuller (Baïonnette au Canon, Le Port de la Drogue, La Maison de Bambou, Shock Corridor, The Naked Kiss, Au-delà de la Gloire) ont suscité des jugements contradictoires et autres malentendus : sur la violence, la politique, les femmes, la société américaine…
Un chapitre revient sur le tournage de Dressé pour Tuer (1982), film maudit à cause d’un malentendu idiot.
Un représentant de la NAACP (Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur, présent pour s’assurer que le film, mettant en scène un chien dressé pour attaquer des Noirs, ne portait pas atteinte à l’image de ces derniers) avait été renvoyé du plateau sur l’ordre du réalisateur, qui estimait avoir suffisamment fait ses preuves en matière d’antiracisme pour ne pas avoir à se soumettre à ce contrôle humiliant. Un incident qui valut à ce très grand film anti-raciste une réputation totalement opposée. Effrayés par la polémique, les patrons de la Paramount annulèrent tout simplement la sortie du film. Un moment douloureux qui provoqua l’exil de Fuller pour la France, où il termina sa carrière.
Conteur indépendant jusqu’à l’intransigeance, rageur, lyrique, tendre, inventif, drôle, en un mot : libre !... Fuller tenait à inscrire au fronton de ses films qu’il les écrivait, les réalisait et souvent, les produisait lui-même. Comme chez Balzac, qu’il admirait énormément, Fuller employait son énergie extrême comme ultime puissance créatrice. C’est cette personnalité fascinante que nous raconte Jean Narboni, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, privilégiant une approche thématique et non-chronologique dans cet ouvrage passionnant qui donne envie de se replonger dans la filmographie de ce cinéaste paradoxal, admiré mondialement et pourtant complètement méconnu.