Le réalisateur Nicolás Rincón Gille, qui avait jusqu’alors développé une pratique documentaire singulière, nous livre un premier long-métrage de fiction sur son pays, son histoire et sa mémoire ancrée dans le fleuve Magdalena Medio. Le film Tantas Almas raconte l’épopée d’un père, José, un pêcheur colombien, qui, en rentrant chez lui après une nuit de travail, découvre son village ravagé et ses deux fils assassinés par les paramilitaires. Il décide alors de rechercher leurs dépouilles dans le fleuve pour leur offrir une sépulture et sauver leurs âmes d’une errance sans fin.
Tantas Almas de Nicolás Rincón Gille
Publié le 12/10/2021 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique
Dans la pénombre bleutée de la nuit, la lune éclaire les quelques remous d’un fleuve. Un homme se tient debout sur son canoë. À ces images paisibles mais angoissantes succèdent les images des exactions, filmées avec une certaine distance et pudeur. Dès cet instant, le réalisateur ancre son film dans une quête dans laquelle on suit les rencontres malheureuses, les douleurs, les peurs d’un père. Son errance pour retrouver les dépouilles de ses fils est un prétexte pour parler du deuil et de l’histoire de la Colombie en prise avec une mémoire collective vive et des centaines de milliers de familles victimes du terrorisme et dont les corps des défunts demeurent introuvables. En s’appuyant sur un style documentaire, le réalisateur Nicolás Rincón Gille offre un tableau contemporain de son pays, et délivre une ode aux victimes en inscrivant leur mémoire dans le film. Dans cette perspective, en revisitant l’histoire, la trajectoire individuelle du père évolue et rejoint au fil de la remontée du fleuve une dimension rituelle, épique, voire magique qui le pousse à atteindre sa quête. À plusieurs reprises, José se livre à des prières, menacent même des paramilitaires que son « âme viendra sucer leurs yeux et leurs cervelles ». Ces incursions habiles d’une dimension épique dans la dramaturgie donnent au film une puissance spirituelle qui parvient à faire habiter dans l’image une multitude de fantômes du passé et convoque les esprits des victimes. Cette dramaturgie qui s’articule autour du fleuve, arène nodale et organique du film qui délimite l’espace et le temps, endosse un caractère presque mythologique et vient se heurter à la violence ordinaire et aveugle des paramilitaires miliciens.
Finalement, le film Tantas Almas reflète la solitude de José et son voyage à travers la rivière est un chemin sans destination, entendu comme une forme de désespoir. Tantas Almas parvient à centrer son regard sur les conséquences du conflit en Colombie, sur ceux et celles qui restent, sur ceux et celles qui veulent vivre leur deuil dignement et enterrer leurs enfants. Il montre la réalité de milliers de personnes qui ont perdu leurs proches à cause de la violence en Colombie mais qui rejoignent toutes les autres tueries et génocides dans le monde.
