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Un invincible été de Arnaud Dufeys à la Berlinale

Publié le 20/02/2024 par Dimitra Bouras et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Après des études à l'IAD, le jeune réalisateur et producteur liégeois a déjà réalisé trois courts métrages, Atomes (2012), son film de fin d'études, Vertiges (2014), avec Sophie Breyer, qui a reçu le prix du public au Festival International du Film Francophone de Namur, Acqua Alta (2016). Un invincible été, son dernier court métrage, vient d'être sélectionné à la Berlinale section Génération, section adressée aux jeunes de 14 ans et plus. Ce film, écrit par Nicolas Moulin, plonge le spectateur dans les premiers émois de Clément, un adolescent en quête d'un premier partenaire trouvé sur une application de rencontre. Le film revisite les idées reçues sur les rencontres hasardeuses 2.0. Et si ce n'était pas si mal finalement ?

 

Cinergie : Parlez-nous du film.

Arnaud Dufeys : C'est l'histoire de Clément, 16 ans, qui passe un été seul dans la maison de ses parents qui sont partis en vacances pendant toute la durée du film. Le film se déroule sur une après-midi. Clément s'ennuie et veut se lancer dans l'aventure d'une première fois sexuelle avec un garçon et il cherche un partenaire sur une application de rencontre.

 

C. : Pourquoi ce titre ?
A. D. : Un invincible été, c'est un titre de travail que j'ai sur plusieurs projets depuis longtemps. C'est une formulation qui me parle et qui faisait référence à l'idée qu'il y a parfois des moments dans la vie qui vont marquer l'esprit, qui vont renforcer une personnalité et dresser un parcours. Il y a cette idée d'invincibilité par rapport au souvenir qui reste marqué.

C'est un court métrage que je réalise, mais qui a été écrit par Nicolas Moulin. Quand j'ai lu son projet, je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de similitudes avec des thèmes qui m'intéressaient depuis longtemps. Il y avait aussi une similitude dans la manière avec laquelle on abordait ce type de sujet entre le moment où j'avais son âge et l'âge qu'il a aujourd'hui.

 

C. : Qu'attendez-vous de la sélection du film à la Berlinale ?
A.
D. : J'attends une première rencontre avec le public, voir comment il réagit. C'est un très bel endroit pour voir comment cela va se passer. Il y aura six projections dans des grandes salles, un public international, avec des professionnels et un public en section Génération, une section compétitive adressée aux jeunes pour les 14 ans et plus. C'est vraiment un public à qui je voulais adresser le film et que je représente dans le film. Ce sera l'occasion de voir s'ils se sentent concernés, représentés comme il faut. De plus, depuis la sélection, il y a beaucoup de sollicitations, des demandes de festivals pour qu'on l'inscrive, des rencontres avec des chaînes télé, des vendeurs internationaux. C'est une belle opportunité de faire des rencontres pour les projets qui suivent ou pour la diffusion de celui-là.

 

C. : Il y a beaucoup de bienveillance entre ce jeune et le partenaire qu'il rencontre.
A.
D. : C'était un élément décisif pour moi dans le choix du scénario. Quand je l'ai lu, ce qui m'a plu, c'est la manière avec laquelle Nicolas Moulin parvient à chaque moment à désamorcer ce à quoi on pourrait s'attendre comme risque ou comme danger dans le film. Comme cela parle d'un jeune de 16 ans qui fait des rencontres sur une application pour une première approche sexuelle, cela fait un peu peur. Et toutes les idées qu'on pourrait avoir en tête de danger vont petit à petit se désamorcer dans le film pour raconter qu'on peut aussi avoir de très belles rencontres via ce moyen-là. Ce qui m'a plu et ce qui m'a poussé à défendre le film pour les financements, c'est ce devoir de bienveillance que ces deux personnages ont l'un envers l'autre. Tout comme le protagoniste qui a un devoir de bienveillance par rapport à l'homme plus âgé dont il doit s'occuper.

 

C. : Est-ce que le scénario de Nicolas Moulin s'apparente à ce que vous écrivez ?
A.
D. : Oui, je me suis rendu compte des similitudes qu'il pouvait y avoir avec mon film de fin d'études. Ce qui m'a plu ici, c'est que Nicolas est plus jeune et qu'il est très ancré dans le monde actuel. Quand j'avais 16 ans, les applications n'existaient pas. C'était important que ce soit Nicolas qui l'écrive pour parler du monde d'aujourd'hui, de la manière dont on se rencontre aujourd'hui et quels sont les risques et les plaisirs associés à ces rencontres.

C'était beaucoup de plaisir de pouvoir s'approprier le film écrit par Nicolas, de finir l'écriture avec lui et de trouver des financements, de le réfléchir comme un souvenir que je pouvais m'approprier alors que ce n'était pas la même époque. Il y a toujours ce plaisir à avoir deux aspects temporels, une très grande contemporanéité dans le récit, dans la représentation des personnages, mais aussi quelque chose de plus daté dans la recherche graphique, esthétique liée au film. On a tourné en pellicule, par exemple.

 

C. : Pourquoi le choix de la pellicule ?
A.
D. : J'y réfléchissais déjà à la lecture du scénario. Il y a d'abord l'idée de capturer une image, de la saisir, tout comme l'adolescent a envie d'arrêter le temps. Il sait que ce sont des moments qui seront chers, qui vont le marquer et qu'il voudra retenir. Le fait de tourner en pellicule permet d'imprimer les choses sur un support et ça faisait sens pour moi.

Après, il y a aussi le mode de tournage qui n'est pas le même. Quand la caméra tourne, tout le monde a une attention particulière à l'instant qui devient vraiment important. Cette attention spécifique accordée à l'instant de la prise permet d'avoir un résultat un peu différent. Même si on ne tourne pas beaucoup parce qu'on sait que les prises sont limitées, qu'on doit beaucoup répéter avant, ça permet d'avoir une importance du moment qui fait que la méthode de travail sera différente en tournage, mais aussi en montage par la suite parce que la matière sera très limitée et qu'il faudra aller chercher l'instant qui était important.

 

C. : Vos projets précédents ont aussi été tournés en pellicule ?
A.
D. : Pas du tout, j'avais seulement fait un exercice qui m'avait marqué pendant mes études à l'IAD donc là c'était ma première fois. Il y a une expérience de plaisir qui est plus importante encore. Je me souvenais de l'équipe focalisée sur cet instant et il me semblait que ça collait parfaitement au film.

 

C. : Est-ce que le long métrage en préparation est lié à ce court métrage ?
A.
D. : J'ai deux longs métrages en développement qui vont, je l'espère, se tourner l'un après l'autre. Le tout premier a peu de rapports avec le court car il est venu s'intercaler entre le court et le premier long que j'avais écrit. C'est un thriller judiciaire, un film de paroles, sur un autre sujet. Maintenant, le long que l'on a écrit et coréalisé avec Charlotte Devillers est très proche du court métrage. Le film questionne sur la manière dont on se rencontre aujourd'hui via les réseaux sociaux notamment, les applications de rencontre. On y questionne l'intimité d'une femme de 40 ans qui travaille dans un centre de santé sexuelle et qui a des rencontres avec des partenaires via des applications. Le sujet est clairement différent, mais il y a des similitudes.

 

C. : Est-ce que le fait de travailler avec un scénariste vous a permis de prendre plus de distance et d'être plus à l'aise dans la réalisation ? Est-ce que vous trouvez cette collaboration plus confortable ?
A.
D. : J'ai beaucoup aimé réaliser le film qui a été écrit par quelqu'un d'autre. Cela m'a permis de projeter ce que je voulais y mettre, mais sans avoir une pression face à moi-même, par rapport au sujet que j'ai développé et écrit depuis un certain temps. Je pouvais garder une forme de plaisir et de légèreté à tout moment de la réalisation, partager cela à l'équipe. Et j'ai pu aussi le produire moi-même et je ne pense pas que je l'aurais fait si j'avais tout porté depuis le début, en terme d'écriture. Cela permettait d'avoir un recul et d'avoir un partenaire avec lequel avoir des échanges. J'ai discuté avec Nicolas pendant la préparation du film et pendant la postproduction de la manière dont le film évoluait. C'est très précieux d'écrire avec quelqu'un avec lequel on a des affinités.

 

C. : Vous allez répéter cette expérience ?
A.
D. : Les projets que j'ai pour l'instant sont tous coscénarisés. Les deux longs métrages sont coscénarisés avec Charlotte Devillers. Et on a des consultants pour chacun des projets. On a pris conscience que quand on a le nez dans un projet depuis longtemps, c'est très précieux et très utile d'avoir des regards extérieurs.

 

C. : Comme le prochain tournage est un film à low budget, vous allez rester sur un nombre restreint d'acteurs ?
A.
D. : Oui, c'est un thriller judiciaire qui se passe dans un lieu unique. C'est l'histoire d'une mère qui défend ses enfants pendant une matinée d'audience au tribunal de la jeunesse. Elle les défend contre un père que les enfants ne veulent plus voir. Ils le clament haut et fort, mais la justice a du mal avec le fait que le père a le droit d'avoir la garde. On explore pendant le film le rapport que la mère a avec ses enfants et qu'est-ce qui fait que les enfants ne veulent plus voir leur père. C'est un film qui se déroule avec très peu de personnages : la mère, les enfants, le père, l'avocat et la juge. Cela nous permet d'être dans une économie très légère. On est avec une équipe d'une dizaine de personnes avec les acteurs. On va tourner essentiellement avec de la lumière naturelle, avec un dispositif très léger presque documentaire en terme de dispositif même si c'est très scénarisé et fictionnalisé.

 

C. : Comment s'est passé le casting pour Un invincible été?
A.
D. : Le casting a été réalisé par Emmanuelle Nicot, une amie qui était dans ma promo à l'IAD. Comme on se connaît très bien, elle sait ce qui va me plaire, elle connaît le scénario. Elle m'a proposé certains profils, on les a vus ensemble lors d'un second tour pour les trois protagonistes. Je ne connaissais pas les comédiens avant de commencer.

Pour Charles Lebrun, c'est son premier film. Victor Meurice a déjà des expériences de tournage, mais il n'a pas été formé comme acteur professionnel. On a eu des difficultés avec les acteurs professionnels pour ce rôle plus âgé car, après lecture du scénario ils ne voulaient plus tourner parce que cet homme se retrouve dans une position de faiblesse par rapport à son corps. On a essuyé beaucoup de refus pour ce rôle. On s'est donc tournés vers des personnes qui avaient moins d'expérience. Avec Victor et Charles, on a travaillé un peu en amont du tournage, mais surtout des discussions et des scènes en improvisation ou des scènes autour du scénario. Je n'aime pas trop épuiser les scènes, j'essaie de préserver le scénario pour que la manière dont ils le jouent sur le plateau s'apparente à une première fois. Pour chaque prise, j'essaie de renouveler cette sensation de première fois en donnant des moteurs concrets de jeu qui sont chaque fois différents. J'ai fait des choix de personnages qui étaient très proches des personnages que j'imaginais. Après ça, c'est plus facile de se concentrer sur la manière dont les acteurs doivent vivre la scène de manière naturelle. Les répétitions n'étaient pas filmées et pour moi, elles servent à comprendre quels choix je vais faire pendant la prise. Je teste des choses différentes d'une prise à l'autre en répétitions et je prends des notes et au moment de tourner je sais quels moteurs de jeu je dois convoquer pour reproduire quelque chose que j'ai observé pour aller dans la prolongation d'une tentative.

 

C. : Cette façon de travailler vous servira encore même en ne tournant plus en pellicule ?
A.
D. : La direction d'acteurs est quelque chose qui se construit depuis longtemps pour moi. J'ai accumulé des expériences, de tournages, d'ateliers de jeu face caméra que j'animais, et ces expériences s'accumulent les unes aux autres. J'ai pris conscience que ce qui m'intéresse chez un acteur, c'est de trouver ce qui va le rendre le plus naturel possible, ce qui va faire en sorte qu'il a l'impression de vivre la scène le plus intensément possible. L'objectif, c'est que l'acteur oublie le texte, oublie ce qu'il est en train de vivre face à la caméra et que chaque prise soit une nouvelle expérience.

 

C. : Vous apportez des éléments qui peuvent dérouter les comédiens sur le plateau ?
A.
D. : C'est une méthode qui nécessite une discussion préalable avec les acteurs. Je discute avec eux de l'approche que je veux avoir, ils me disent si cela leur convient ou pas, comment ils travaillent d'habitude. Le travail préparatoire, c'est d'apprendre à se connaître, à se faire confiance, à connaître les limites de l'autre. Il y a un contrat tacite qui se met en place avec les acteurs pendant la préparation qui permet, pendant le tournage, qu’ils acceptent que je les emmène à certains endroits avec lesquels ils sont confortables.

 

C. : Parlez-nous de la bande son.
A. D. : Le projet de film, quand il était déjà financé, avait été sélectionné au festival Music & cinéma à Marseille et il a participé à l'atelier du 3e personnage pendant lequel j'ai rencontré Lolita Del Pino qui est à l'origine de la musique. Il y a eu un énorme travail de composition qui m'a bluffé dès la préparation. Je lui demandais de composer des morceaux de rap RNB très actuels et des morceaux d’instrumentalisation classique. C'était un vrai défi pour moi comme pour elle de parvenir à ça dans le même film. Elle a géré l'exercice avec brio et on va renouveler cette collaboration pour le long métrage.

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