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Une des mille collines de Bernard Bellefroid

Publié le 17/01/2024 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Successions de témoignages de rescapés et de génocidaires condamnés, le dernier documentaire de Bernard Bellefroid marque les esprits par sa singularité et la force de son propos. Les témoignages font froid dans le dos. Les choix du réalisateur permettent de comprendre le génocide des Tutsis qui s’est déroulé au Rwanda en 1994 sous un nouvel angle.

Une des mille collines de Bernard Bellefroid

Le film Une des mille collines revisite certains des protagonistes présents dans le documentaire précédent intitulé Rwanda, les collines parlent (2005). Ce premier documentaire mettait en lumière les verdicts prononcés par les juges des tribunaux GACACA établis dans le but de favoriser la réconciliation et l'unité au sein de la population rwandaise. Plus d’une quinzaine d’années plus tard, les condamnés ont purgé leurs peines et sont de retour dans leur colline et derrière la caméra de Bernard Bellefroid.

Dans ce documentaire unique en son genre, les rescapés et génocidaires s'expriment de manière spontanée et authentique. Les plans, originaux et ingénieux, intensifient la confrontation entre victimes et bourreaux. Le choix du réalisateur de raconter l'histoire de trois enfants (Fiacre, Fidéline et Olivier) d'une famille de victimes rend les confidences des villageois encore plus percutantes et touchantes. Les visages d’Olivier, Fidéline et Fiacre ne seront jamais oubliés ni effacés de l’Histoire.

Le choix d’une désynchronisation entre l'audio et les images durant les témoignages a permis une photographie d’une qualité supérieure en permettant de se plonger dans les regards profonds et tourmentés des intervenants. Les propos récoltés sont puissants et d’une importance capitale en termes de mémoire collective. Il semble évident que Bernard Bellefroid avait l’intention de contrecarrer les dénégations du génocide rwandais en réalisant ce travail d’enquête minutieux.

Ce documentaire répond également à un axe pédagogique en fournissant de nombreuses clés de compréhension qui permettent de mieux appréhender la genèse, l'exécution et la résolution du génocide rwandais. Alors que le documentaire de 2005 mettait en lumière la phase du jugement des coupables, celui de 2023 s’intéresse à ce qui s’est passé ensuite, une fois que les génocidaires eurent terminé de purger leurs peines. Bouleversante et troublante, la dernière partie du reportage confronte directement les parents (Jean d’amour et Claudine) des enfants avec leur bourreau.

Grâce à un recul de 29 ans depuis les événements ainsi qu’à la justesse des propos recueillis et retenus, Une des mille collines dénote des documentaires habituels sur le sujet par son caractère résolument moderne et sa volonté de ne pas faire une reconstitution historique des événements qui ont amené au génocide, mais bien de se concentrer sur l’après-génocide. Car oui, ce sont les mensonges et la désinformation qui ont suivi cette tragédie qui sont au cœur de ce documentaire.

La vérité finit toujours par éclater, mais les mensonges des génocidaires continuent de hanter les victimes. Contraintes de coexister depuis cette tragédie, les rescapés tutsis ont compris que la justice ne sera jamais complètement rendue et que certains bourreaux génocidaires n’avoueront jamais leurs méfaits. Peut-être était-ce l’ultime prix à payer pour mettre fin à ce bain de sang et embrasser le chemin de la réconciliation ?

Même si ceux qui l’ont vécu ne pourront probablement jamais refermer ce chapitre, l'un des plus sombres de l'histoire récente de l'Humanité, certains ont tenté de nier l’existence du génocide. C’est pour cette raison qu’il est essentiel que les voix de Jean d’amour et Claudine soient entendues et partagées à travers le monde.

Bernard Bellefroid est reconnu pour sa capacité à capturer des récits émotionnels et puissants à travers ses films, Une des mille collines ne fait pas exception.

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