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Wil de Tim Mielants

Publié le 26/09/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Un héros très discret

1942, Anvers est sous l’occupation allemande. Wilfried (Stef Aerts), dit ‘Wil’, et Lode (Matteo Simoni), deux jeunes auxiliaires de police, sont contraints par leurs supérieurs de faire le sale boulot des Allemands en arrêtant les « réfractaires ». Officiellement, leur mission est d’observer sans intervenir, mais ils doivent parfois arrêter des juifs ou des communistes et les mener vers le peloton d’exécution.

Wil de Tim Mielants

Parmi leurs collègues, tous impuissants devant l’occupant, on trouve différents tempéraments : ceux qui ont des remords, ceux qui collaborent aveuglément pour sauver leur peau, mais aussi ceux qui adhèrent à l’idéologie antisémite. Une nuit, alors qu’ils patrouillent dans les rues pour faire respecter le couvre-feu, Wil et Lode tombent sur un ‘feldgendarme’ sur le point d’assassiner une famille juive. Une altercation éclate et Wil tue l’agresseur, en légitime défense. Ils dissimulent le cadavre dans une bouche d’égout. Alors qu’une enquête est ouverte pour retrouver les coupables et qu’ils sont surveillés de près par des officiers collabos qui les suspectent (parmi eux, Kevin Janssens), les deux amis rejoignent un mouvement de résistance, la ‘Brigade blanche’ et cachent la famille qu’ils ont sauvée. Alors que l’étau se resserre, Wil est chargé d’infiltrer un groupe pronazi composé d’amis, de collègues, de notaires, mais aussi du maire de la ville.

« Beaucoup de gens jugent uniquement après coup, mais ne savent pas vraiment ce qu’est l’Histoire. Souvent, l’Histoire, ça se résume à : ‘Vous êtes là et vous regardez’ ». Il y a toujours des héros et des salauds. Mais le cinéma oublie souvent de célébrer les simples quidams qui assistent à la mort de l’Humanité sans broncher, confrontés à des dilemmes tout simplement inhumains. Cacher des juifs ? Ou en dénoncer pour sauver sa propre famille ? Quand Wil et Lode sauvent trois personnes, dix autres sont fusillées en représailles. L’acte de rébellion des uns signe toujours l’arrêt de mort des autres.

L’héroïsme et la lâcheté sont donc des termes qui ne veulent plus dire grand-chose sous le joug d’un envahisseur qui manipule les esprits par sa propagande et pratique le chantage avec des vies humaines. Comme le documentaire de Hugues Lanneau Modus Operandi (2007) l’avait déjà illustré, de nombreuses rafles et déportations effectuées par les nazis ont été possibles grâce à l’appui - parfois inconscient, souvent volontaire - des autorités belges. Wil en rajoute une couche en égratignant les civils qui s’en vont brûler des synagogues en beuglant des « Sieg Heil ! » à tue-tête, les nantis et les hauts placés corrompus qui gagnent des fortunes en rachetant à bas prix les maisons des quartiers juifs désertés après les rafles, sans oublier ceux qui pratiquent la torture avec zèle pour le compte de l’ennemi (notamment lors d’un éprouvant supplice par eau bouillante / eau glacée sur la personne de Jan Bijvoets).

Tim Mielants (que l’on avait connu d’humeur plus guillerette avec son De Patrick nudiste, mais également à l’œuvre sur des séries de prestige internationales telles que Legion, The Terror et Peaky ‘fookin’ Blinders) signe une fresque choquante dont les thématiques et les envolées mi-lyriques, mi-barbares ne sont pas sans rappeler (l’érotisme en moins) le fameux Zwartboek de Paul Verhoeven. Doté d’un budget qui lui permet une reconstitution historique très soignée (à défaut de scènes d’action de grande ampleur), le cinéaste se concentre sur l’évolution psychologique d’un héros pas héroïque pour un sou. Incapable de dissimuler ses émotions, frêle, avec sa tignasse blonde ébouriffée et ses grands yeux constamment apeurés de lapin pris dans la lumière des phares, Wil est un personnage aux contradictions passionnantes, entre héroïsme accidentel et lâcheté trop humaine, auquel Stef Aerts confère une ambiguïté rarement de mise dans ce genre de projet. Décortiquant brillamment les notions complexes d’héroïsme et de sacrifice, Mielants n’oublie pas de nous offrir un vrai film de cinéma épique « à l’ancienne », captivant de bout en bout.

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Wil