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4 luni, 3 saptamani si 2 zile (4 mois, 3 semaines et 2 jours) de Cristian Mungiu

Publié le 02/04/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

4 mois, 3 semaines et 2 jours ! Non, il ne s’agit pas là de la durée du film qui a gagné la Palme d’Or au Festival de Cannes en 2007… Pourtant, on ne pourra pas en vouloir à un public non averti d’avoir développé certains préjugés sur cette œuvre saluée unanimement par la critique. Un film ROUMAIN ! Sur l’AVORTEMENT… Palme d’Or en plus, pas franchement un signe de qualité, tant les dernières victoires du Festival de Cannes reposent souvent sur des compromis douteux et versent dans la consensualité… A  priori donc, 4 mois, 3 semaines et 2 jours est le genre de film dont Ross Geller parle avec passion pendant que ses amis font semblant d’écouter. De prime abord, il faut donc s’armer d’un certain courage pour oser mettre ce DVD dans le lecteur. Par contre, une fois que le film commence, impossible de lever les yeux de l’écran tellement ce drame émotionnellement perturbant vous happe pour ne plus vous lâcher et reste avec vous plusieurs jours après.


4 luni, 3 saptamani si 2 zile (4 mois, 3 semaines et 2 jours)  de Cristian Mungiu

affiche film 4 mois,3 semaines, 2 jours 1987, la Roumanie est toujours sous le régime de Ceaucescu. Dans un dortoir de jeunes filles en périodes d’examens, Gabita prépare sa valise tandis que son amie Otilia court pour trouver des cigarettes et du savon au marché noir. Les deux jeunes filles semblent liées par une complicité tacite, s’apprêtant à traverser une épreuve redoutable dont nous ignorons au départ les tenants et aboutissants. Gabita est enceinte depuis 4 mois, 3 semaines et 2 jours et veut se faire avorter, un acte passible de prison dans ce régime en fin de parcours. Otilia va l’aider à trouver un « avorteur » et un hôtel dans lequel il pourra les aider. Mais sur leurs parcours, les embûches sont nombreuses… Une réservation ratée dans un hôtel va déclencher une réaction en chaîne qui va entraîner nos deux héroïnes dans une situation plus difficile qu’elles ne l’auraient imaginé. Otilia devra se sacrifier moralement et subir l’humiliation pour aider son amie et payer le prix des erreurs répétées de Gabita.

Les années 80 sont les années les plus noires de la dictature de Ceaucescu et représentent une période de vaches maigres pour le cinéma roumain. Après la chute du dictateur, la soif de liberté d'expression s'est avérée bénéfique, cependant, la crise économique et le peu de moyens (les subventions...) a fait que la production roumaine actuelle est de 10 à 15 films par an. Le cinéma roumain des années 90 sera celui de la « tentation apocalyptique » : les cinéastes souhaitent se servir de leur art pour rendre compte de la réalité d’un pays brisé, exsangue. La veine cryptée va faire place à un cinéma plus vrai que nature dont le but sera d’exorciser les démons de toute une nation en les dévoilant au grand jour. La Révolution de 1989 mettra fin à la censure et marquera le retour au pays de cinéastes exilés comme Lucian Pintilie. Plus récemment, toute une vague de jeunes réalisateurs ont poursuivi cette tendance de la « tentation apocalyptique » avec un succès de festival inédit jusque là pour une cinématographie irrégulière. Avec sa victoire à Cannes, Cristian Mungiu est le chef de file de cette nouvelle vague bienvenue.

Son film n’est pas, comme on aura pu l’entendre un peu partout à sa sortie, un film de genre à proprement parler. Nous ne sommes pas ici dans un thriller, mais dans un drame où le suspense vient, non pas de la construction narrative, mais de l’environnement dangereux et totalitaire dans lequel évoluent les deux jeunes filles. Un environnement kafkaïen qui, malheureusement, ne relève pas de la science-fiction, mais de la dure réalité dans laquelle la Roumanie était encore plongée il y a moins de vingt ans. Pour traduire à l’écran la froideur bien réelle d’un pays dans les ténèbres, Mungiu se sert principalement de longs plans-séquences détaillant dans les moindres détails chaque geste quotidien avec une froideur clinique souvent étouffante. Sans musique, les actes de l’avorteur, les longs trajets effectués par Otilia, les échanges entre les deux amies semblent tellement réels, mais empreints d’une tension à couper au couteau. Rarement un plan a priori aussi simple qu’une jeune fille marchant dans la rue aura su provoquer un tel malaise. On a l’impression, tout comme elle, que la milice peut surgir à tout moment et mettre fin à sa quête. C’est là le grand talent de conteur de Cristian Mungiu : arriver à nous faire craindre le pire par le plus banal des gestes quotidiens. Ainsi, un long plan-séquence de dîner semble s’éterniser jusqu’à ce que le malaise arrive à son paroxysme. Paradoxalement, on ne peut quitter l’écran des yeux.

Par l’entremise de l’histoire de deux jeunes filles, Mungiu quitte le microcosme pour nous emmener vers la grande histoire macrocosmique de la fin du règne de Ceaucescu. L’avortement ici n’est finalement qu’un thème secondaire sur lequel le cinéaste ne pose aucun jugement moral, même si visuellement certaines scènes seront difficilement supportables par les âmes sensibles. Il s’agit d’un film où les actes chirurgicaux de l’avorteur ne sont pas plus insupportables à voir que la tyrannie exercée par les réceptionnistes des hôtels, par les règles immuables de la cellule familiale, par les lois du marché noir…

Saluons l’interprétation excellente, entre force et fragilité de la jeune Anamaria Marinca (Otilia) et de Vlad Ivanov, l’avorteur qui porte en lui, dans chaque geste et dans chaque mot, toute l’histoire d’un pays.

Pas de bonus en vue sur cette édition DVD malingre reçue à Cinergie. Une version collector 2 DVDs vient également d’arriver dans les bacs. On ne pourra que conseiller la version originale sous-titrée et bannir une version française proprement honteuse qui ferait passer ce chef-d’œuvre d’une cinématographie en pleine régénérescence pour un émule des American Pie ou des pires sitcoms françaises d’AB Productions.

DVD édité par Imagine Films et diffusé par Melimedias. 5 exemplaires offerts par le distributeur. Voir concours.