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Forgotten Scares: an in-depth look at flemish horror cinema

Publié le 08/06/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Flamands rouges !...

Du cinéma d’horreur en Belgique? Qu’est-ce que c’est que ces carabistouilles ? « Comment reconnaît-on un Wallon d'un Flamand ? », demandait Pierre Desproges… « C'est bien simple. Portons un Belge à ébullition. S'il s'insurge ou s'il menace d'en référer à la Ligue des droits de l'homme, c'est un Wallon. S'il se laisse bouillir en disant « Ouille, ça brûlenbeek !», c'est un Flamand. » Pour le cinéma fantastique et d’horreur, c’est pareil : alors que le Wallon ne se mouille pas trop (Fabrice Du Welz étant l’exception qui confirme la règle), le Flamand, lui, n’a pas peur de mettre les pieds dans le chaudron…

C’est le succès du sympathique Welp, de Jonas Govaerts, sorti sur nos écrans en 2014, qui a donné l’impulsion à Steve de Roover de se lancer dans un travail de recherche historique de longue haleine : dénicher des extraits rares de films d’horreur flamands, pour la plupart inconnus du grand public, afin de livrer un aperçu global d’une cinématographie considérée comme inexistante, couvrant la période des années 70 à nos jours. Oubliées, voire jamais terminées, ces œuvres trouvent dans Forgotten Scares une nouvelle visibilité, images d’archives à l’appui ! Le documentariste prend pour modèles les documentaires humoristiques de Mark Hartley : Not Quite Hollywood : The Wild, Untold Story Of Ozploitation ! (sur le cinéma de genre australien), Machete Maidens Unleashed ! (consacré aux films de séries B et Z philippins) et Electric Boogaloo : The Wild, Untold Story Of Cannon Films (la gloire et la chute des producteurs Menahem Golan et Yoram Globus), auxquels on peut ajouter le récent Garuda Power : The Spirit Within, évocation des affres du cinéma d’action indonésien. Des essais se traduisant par de gros succès en festivals, vus notamment dans les salles du Nova à l’occasion d’Off Screen et qui donnent envie de découvrir les œuvres dont sont tirés ces extraits !

L’horreur, comme le musical et le western, est un genre que la Belgique n’a jamais réellement intégré à sa cinématographie « officielle », davantage tournée vers le social et le documentaire. Les rares qui ont essayé restent donc (pour la plupart) en marge et ont bien du mérite d’avoir su braver les mentalités retorses et le manque de subsides…

Voici un aperçu des films abordés en long et en large au cours de Forgotten Scares :

- Daughters of Darkness (Les Lèvres Rouges) (1971, Harry Kümel) : Chef-d’œuvre esthétique et pierre angulaire du fantastique belge, inspiré des meurtres de la Comtesse Bathory (une originale qui aimait se baigner dans le sang de jeunes vierges), ce film de vampires érotique est longtemps resté l’unique gros succès « mainstream » du film d’horreur flamand à l’étranger. Tourné pour quelques bouchées de pain (750.000 francs belges + 50.000 dollars grâce au tax shelter américain), Daughters of Darkness dévoilait l’ambition et le talent de formaliste indéniables de « notre Orson Welles à nous » : Harry Kümel ! Comme le dit un des intervenants, « Harry Kümel est né dans le mauvais pays. S’il était né aux Etats-Unis, il serait devenu le nouveau Hitchcock ! » Il est en effet regrettable, honteux même, que ce pionnier, toujours considéré à l’étranger comme un véritable auteur, ait été complètement oublié dans son propre pays (à 77 ans, il ne tourne plus mais enseigne l’art du scénario à l’ULB). Daughters of Darkness reste très populaire parmi les cinéphiles, mais il est pratiquement impossible de trouver un dvd du film en Belgique !

Son film suivant, Malpertuis, adaptation du roman gothique de Jean Ray, sorti la même année, pâtit de problèmes de scénario et d’un montage maladroit, mais fut également un succès, bien aidé par la présence au générique de quelques stars de poids : Orson Welles (en personne !), Michel Bouquet, Jean-Pierre Cassel et Johnny Hallyday ! Pourtant, malgré son statut de film culte, Malpertuis ne passe jamais à la télévision ! Remonté contre une certaine presse cinématographique, Kümel dénonce le fait que ces films ont disparu parce que cette presse-là tente de nous faire croire que les films de genre sont moins importants que les énièmes drames psychologiques et sociaux. L’histoire a pourtant démontré que ces films-là rebutent le public et que ce sont les films de genre qui subsistent dans les mémoires ! À toujours tenter de tout ranger dans des cases, ces journalistes ont fini par nuire à notre cinéma fantastique national ! Nous regrettons que l’évocation de la carrière d’Harry Kümel dans Forgotten Scares s’arrête après ces deux gros succès de 1971. Il eut été intéressant d’explorer la suite (certes beaucoup moins glorieuse) de sa carrière (peu de films, des épisodes de « Série Rose » pour la télévision française), mais néanmoins traversée d’œuvres intéressantes comme l’excellent De Komst van Joachim Stiller (1976).

Viennent ensuite une série d’aberrations belges dont seuls les cinéphiles peu regardants sur la qualité ont eu vent…

-The Antwerp Killer (1983, Luc Veldeman) est un cas à part : « Les 65 minutes les plus longues de votre vie ! » prétend le directeur du Festival de Knokke ! Epouvantable de nullité et proche de l’amateurisme total (du moins selon les rares chanceux l’ayant vu !) The Antwerp Killer est l’œuvre d’un « réalisateur » de 18 ans, qui avait réussi à tromper son monde (producteurs, distributeurs, acteurs) sur la qualité du produit. Promettant un slasher dans le style de Vendredi 13, son film, de moins d’une heure, est en fait tourné dans un bureau avec quatre acteurs amateurs. Notable pour son utilisation frauduleuse du thème de Halloween par John Carpenter, The Antwerp Killer était si mauvais qu’il n’en existait qu’une seule copie 16 mm, confisquée (et sans doute détruite) par le papa du réalisateur, qui ne supportait pas que les spectateurs consternés s’esclaffent ouvertement devant le résultat ! Luc Veldeman a lui-même transféré son chef-d’œuvre sur quelques cassettes vidéo qu’il distribuait à l’époque dans des vidéoclubs locaux et qu’il essayait de vendre en faisant du porte-à-porte ! Si vous êtes en possession d’une de ces cassettes aujourd’hui… il s’agit d’un objet collector extrêmement rare… mais qui ne vaut absolument rien ! La rumeur raconte que Luc Veldeman, qui n’a jamais réalisé de second film, est devenu un proxénète, travaillant pour un service d’escort girls !

La Flandre a accumulé dans les années 80-90 une poignée de films d’horreur d’exploitation tournés à peu de frais, remplaçant souvent les idées et le talent par le gore, la nudité et la violence gratuite, en imitant des genres plus populaires ailleurs. On peut citer, en vrac, le giallo fauché De Potloodmoorden (The Pencil Murders) (1982, de Guy Lee Thys), le post-apocalyptique The Afterman (un film improvisé contenant des scènes de nécrophilie) et De Aardwolf (1985, tous deux de Rob Van Eyck), ce dernier utilisant l’imagerie nazie afin de fustiger violemment (et sans la moindre subtilité) l’establishment d’un pays ressemblant beaucoup au nôtre. Son réalisateur Rob Van Eyck répète à qui veut l’entendre « Je suis un anarchiste, je suis contre le pouvoir et l’ordre établi ! », confortablement assis dans le joli salon de sa maison cossue !... Lucker the Necrophagous (1986, du stakhanoviste Johan Vandewoestijne, également réalisateur de Todeloo en 2014 et Laundry Man en 2016, en plus d’avoir produit Rabid Grannies) est un slasher gore mettant en scène un serial killer nécrophile qui n’a bizarrement pas reçu l’aide de la Commission et fut interdit d’exploitation en Belgique. Son distributeur le jugeant trop violent a renoncé à le distribuer… Maniac Nurses (1990, du pornographe Léon Paul De Bruyn, tourné sous le pseudonyme de Harry M. Love) est une tentative d’hommage à la sexploitation, des années 70 qui propose (en gros) : des infirmières à grosses poitrines, des grosses pétoires et du gore. Un film tourné en Hongrie, sans scénario, dans le but avoué d’organiser des castings dénudés parmi les jeunes actrices locales ! State of Mind (1992, de Reginald Adamson, produit par Vandewoestijne) est un navet violent mettant en scène quelques stars has been, dont Fred Williamson et le « loup-garou espagnol » Paul Naschy venus faire un petit tour en Belgique ! Alias (2002, de Jan Verheyen), production plus cossue et professionnelle, est un thriller en hommage à Dario Argento (sans la maestria), interprété majoritairement par des acteurs de séries télévisées. Soigné d’un point de vue technique, mais assez peu remarquable d’un point de vue narratif, il connut un échec sévère dans les salles en Flandre. C’est suite à ce flop que Jan Verheyen en arrive à cette conclusion pessimiste : il n’y a pas de place pour des films d’horreur flamands dans nos salles, car ils sont systématiquement rejetés par le public à cause de la barrière de la langue, le flamand parlé se mariant très mal avec le genre…

Pourtant, une poignée d’irréductibles lui donnent tort :

- Rabid Grannies (Les Mémés Cannibales) (1988, de Emmanuel Kervyn, produit par Johan Vandewoestijne) est sans conteste le plus délicieux des films d’horreur jamais tournés ! En Flandre ou ailleurs… Terriblement mal doublé en anglais en vue d’une exploitation sur le marché international, Rabid Grannies gagne une dimension encore plus absurde grâce à cet incessant décalage vocal. Réalisé par l’acteur karatéka Emmanuel Kervyn, (qui se retrouvera trois ans plus tard à l’affiche de Kickboxer 2, preuve que les belges kickboxers avaient alors la cote à Hollywood), ce film culte est une délirante comédie gore sur le modèle des classiques Evil Dead et Bad Taste, plongeant une série de prétendants à un gros héritage familial dans les griffes de deux mémés possédées par une amulette maléfique qui les transforme en de monstrueuses goules avides de chair fraîche. Si Kervyn n’est pas devenu le nouveau Sam Raimi ou le nouveau Peter Jackson, son unique film de réalisateur réussit là où bien des films belges ont échoué : très drôle (parfois involontairement), respectueux du genre et plutôt bien foutu, Rabid Grannies bénéficie d’excellents effets spéciaux de maquillage, qui tiennent encore la route 25 ans plus tard ! Comédie et gore font bon ménage dans ce film culte qui n’a rien à envier en matière de rythme et d’efficacité à ses homologues américains ! Acheté et distribué par TROMA, Rabid Grannies fut présenté au Festival de Cannes en 1988 ! Dommage que Steve De Roover n’ait pas enquêté sur la disparition soudaine d’Emmanuel Kerwyn, disparu sans laisser de traces aux Etats-Unis après avoir complètement tourné le dos au cinéma…

- Linkeroever ou Left Bank (2008, de Pieter Van Hees) est un authentique chef-d’œuvre méconnu de l’histoire du cinéma fantastique, convoquant les spectres du cinéma de l’angoisse cher à Roman Polanski (on pense à Rosemary’s Baby et au Locataire mais également à The Wicker Man), plongeant la touchante Eline Kuppens et un Matthias Schoenaerts inquiétant dans un récit atmosphérique de secte sataniste et de druides ancestraux, se déroulant dans un building de la rive gauche d’Anvers, connu pour être l’endroit le plus dangereux du pays. Terrifiant et choquant à souhait, parcouru de fulgurances visuelles inoubliables, Linkeroever est un véritable choc qui dévoile le talent d’un réalisateur virtuose, dont ce documentaire montre la grande modestie. Malin, Pieter Van Hees s’inspire du riche folklore flamand afin de créer son récit, plutôt que de copier en moins bien ce que font les Américains !

- Welp (Cub) (2014, de Jonas Gevaerts) n’est pas un grand film, loin s’en faut, mais un sympathique et classique slasher forestier, à la réalisation solide, ayant même reçu le soutien du VAF (le Vlaams Audiovisueel Fonds), alors que son jeune réalisateur se demandait si la Belgique méritait un nouveau film d’horreur… Histoire belge de plus, Welp, vendu un peu partout dans le monde (USA, Angleterre, Italie) n’a pas été diffusé dans les salles francophones de notre pays. Tout comme Alléluia, de Fabrice Du Welz, n’a pas été distribué en Flandre ! Absurde ! Malgré son statut de nouveau représentant d’une horreur belge de qualité, Welp n’a pourtant attiré que 85.000 spectateurs, a été montré dans quelques festivals et a vendu une poignée de dvds. Pas de quoi fanfaronner… En cause ? La langue flamande, dixit Jan Verheyen, sérieux obstacle à une exploitation à grande échelle ! Pas découragé, Gevaerts s’apprête à tourner un nouveau film d’horreur intitulé Heads Will Roll.

Si Forgotten Scares s’avère intéressant et propose des dizaines d’anecdotes cocasses de la part de réalisateurs / producteurs / scénaristes / acteurs ayant œuvré dans l’horreur low budget, on regrettera cependant son côté un poil superflu puisqu’il n’arrive à citer en tout et pour tout que CINQ bons films d’horreur flamands! Une misère ! Un constat qui oblige le réalisateur à consacrer beaucoup trop de temps avec des sujets pas forcément très intéressants (Johan Vandewoestijne) alors qu’Harry Kümel ne fait que passer… Voilà la limite de ce documentaire dont le constat ne s’avère pas positif. Malgré les quelques efforts de jeunes cinéastes doués (ou pas), amoureux du genre (ou simplement opportunistes), la Belgique reste encore à la traîne en la matière et nos institutions continuent à mépriser le genre. Mais il est évident que ce ne sont pas les talents tout relatifs de personnages louches et roublards comme Johan Vandewoestijne (producteur acharné mais piètre réalisateur) ou Léon Paul De Bruyn (réalisateur « for hire » de pornos gores à la limite de l’amateurisme, sans le moindre talent apparent) qui viendront changer la donne ! Le cinéma de genre flamand reste donc une denrée rare qui passe principalement par la case « exploitation ». Les tentatives de produire du « vrai » fantastique, sérieux et qualitatif, restent encore de belles exceptions !

Vandewoestijne et Rob Van Eyck s’insurgent vis-à-vis de l’attitude des organismes d’aide à la production, qui regardent leurs films de haut. Mais ils oublient dans leur « réflexion » qu’en accumulant les films d’exploitation nullissimes et crapoteux, tournés en trois jours sans scénarios pour un rendement rapide sur le marché vidéo, ils ne risquent pas de faire avancer le schmilblick et desservent la cause qu’ils prétendent défendre ! Tout un paradoxe… Ces messieurs devraient se rendre compte que la qualité d’un film n’est pas un critère superflu ! La Belgique a besoin d’auteurs comme Harry Kümel mais peut tout à fait se passer d’un Vandewoestijne, aussi sympathique soit-il à l’écran ! Notons également qu’aucune réalisatrice n’est mentionnée (puisqu’il n’y en a pas !), nouvelle preuve que l’horreur à la belge reste un art obscur et en marge comptant plus de « Forgotten » que de « Scares »… 

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