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L'Autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic

Publié le 01/11/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

L'autreDes films aussi vertigineux et créatifs sur l'art d'utiliser le territoire du cinéma, genre Signs & Wonders, le somptueux film de Jonathan Lassiter, on en demande davantage. 
Patrick Mario Bernard (plasticien et graphiste) et Pierre Trividic (vidéaste) ont réalisé un long métrage en 2003 : Dancing. Aujourd'hui, ils remettent le couvert avec l'Autre, inspiré d'une courte nouvelle d'Annie Ernaux insérée dans son livre intitulé L'Occupation (éd. Folio/Gallimard). Contrairement aux adaptations genre images cartes postales qu'on ne cesse de nous proposer, le travail formel des réalisateurs est plus fort que le récit qui leur sert de base. 
Les cinq premières minutes sont sidérantes... cosmiques (4,30' pour être précis) ! Le survol d'une autoroute, du péage, la nuit, en fin de week-end, filmé comme une chorégraphie fragmentée de plans larges puis serrés, illuminés par les phares des autos et les projecteurs des sentiers de construction qui bordent l'endroit. Des couleurs contrastées (noir, blanc et rouge) qui nimbent le ballet scintillant et hallucinant d'une vie contemporaine se terminant sur les toits de Paris.

Puis, structurant leur film comme un mouvement circulaire, nos réalisateurs plasticiens qui ne doutent de rien, nous filent ce qui est censé être la fin (mais pas l'épilogue). Anne-Marie, une quadragénaire blonde (Dominique Blanc) s'abîme face au miroir qui lui renvoie un double d'elle-même qu'elle ne peut supporter. La haine de soi la booste vers une solide crise de nerf face à cette approche trop proche d'elle-même. Elle hurle « Salope », brise son image dans le miroir à l'aide d'un marteau, et se file un coup sur la tempe.
Action ! Nous sommes partis dans l'itinéraire erratique d'Anne-Marie Meier (nom durassien), assistante sociale, qui vient de rompre avec Alex (Cyril Gueï), son jeune amant, refusant la vie de couple qu’il désire. Assez vite, elle découvre qu'Alex a une liaison avec une autre femme du même âge qu'elle. Liaison réelle ou fantasmée ? Toute l'astuce des réalisateurs est de ne jamais nous montrer la nouvelle compagne d'Alex. L'héroïne plonge alors dans l'univers de la jalousie, du rejet de l'altérité, de son double et d'elle-même. Sa souffrance, les réalisateurs ne nous la montre pas seulement à travers son métier, de sa peur d'elle-même, mais aussi à travers un monde aliénant : sous les néons blafards, on ne côtoie, dans les transports en commun, les galeries marchandes, les immeubles béton-verre, que des êtres murés dans leur solitude. Anne-Marie va, peu à peu, déraper dans la schizophrénie.
La grande force de l'Autre réside dans la logique qu'adoptent nos deux plasticiens : rester en dehors des chausse-trapes du pathos que le personnage incarné par Dominique Blanc peut leur offrir, toutes voiles dehors. Ils multiplient les montages parallèles, brouillent les approches, les doublent (oserait-on dire) avec le beau personnage de Lars, pour démontrer l'étrangeté du monde dans lequel vit et survit Anne-Marie Meier, un monde réel pas uniquement clinique.
Dominique Blanc, (primée à la Mostra de Venise en 2008) est phénoménale dans les fluctuations entre l'effroi et la dérision, de la tendresse à la haine de soi. On en profite pour vous rappeler son rôle de toxicomane dans Un couple épatant, Cavale, Après la vie de Lucas Belvaux et Le Pornographe, (avec Jérémie Renier) de Bertrand Bonello.

Entre le style suggestif que ne cesse de dérouler Jacques Tourneur et le fantastique joué avec réalisme par Kyochi Kurosawa, l'Autre, aux portes de l'irrationnel, brouille les frontières autour d'un thème plutôt classique : le double.

L'Autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, éditions Cinéart Diffusion Twin Pics.