Cinergie.be

La Route d'Istanbul de Rachid Bouchareb

Publié le 05/12/2016 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Après s'être intéressé à l'identité et à la quête des racines avec Little Senegal en 2001, aux relations entre la France et l'Afrique du Nord avec Indigènes en 2006, et Hors-la-loi en 2010, le réalisateur franco-algérien consacre son dernier film, La Route d'Istanbul, à un sujet d'actualité: l'engagement de jeunes Belges en Syrie. Pour ce faire, Rachid Bouchareb concentre l'action autour d'une mère, interprétée par Astrid Whettnall, et de sa fille, Pauline Burlet.

La Route d'Istanbul de Rachid Bouchareb

Élisabeth, infirmière d'une quarantaine d'années, semble avoir assumé seule l'éducation d'Élodie, sa fille de 18 ans. Elles vivent dans une maison un peu reculée, au bord d'un lac, dans la campagne belge. La relation qui les lie semble sans heurt jusqu'au jour où Élodie disparaît sans crier gare. La mère apprend, par l'intermédiaire d'une amie de sa fille, que cette dernière est partie à Chypre avec un garçon inconnu au bataillon. La police apprend alors à Élisabeth que sa fille s'est en fait convertie à l'Islam, qu'elle s'appelle maintenant Oum Sana, qu'elle est partie avec son compagnon pour combattre en Syrie. Élisabeth parvient à joindre sa fille, désormais voilée, via Skype. Élodie reste de marbre, elle ne reviendra pas en Belgique, elle veut rester avec les siens. Sa mère décide alors de partir à sa recherche.

La Route d'Istanbul n'est pas un film sur le jihad. C'est un film sur la séparation brutale entre une mère et sa fille. La caméra de Rachid Bouchareb ne lâche pas le personnage d'Élisabeth, femme aux petites épaules, mais à la détermination sans borne. Elle va retrouver sa fille, un point c'est tout. Peu importe le danger, la barrière de la langue, la guerre. Le réalisateur est parvenu à saisir l'impuissance de cette mère. Seule dans cette maison au milieu de nulle part, seule devant ces gardes à la frontière turco-syrienne qui ne lâcheront pas, seule face au monde et seule face à son incompréhension, Élisabeth, dont on ne sait pratiquement rien, dévoile peu à peu sa sensibilité.

Après avoir vu la bande annonce, mes étudiants syriens m'ont dit : "Ce n'est pas ça, l'Islam". L'Islam, c'est beau. Nous, on a un soleil dans le cœur." Même si le film tourne autour de ce lien mère-fille qui s'étiole, le réalisateur parle aussi indirectement de l'Islam et du jihad, à ne pas confondre, mais également de l'engagement de ces jeunes sans repères, ici, à travers le personnage d'Élodie, subtilement interprété par Pauline Burlet. Une jeune fille apparemment sans histoire qui abandonne ses amis, ses passions, sa scolarité pour un monde qu'elle ne connaît pas, un monde qu'elle ne comprend pas, pour une idée de la religion qui ne coïncide pas avec la réalité.

Avec son dernier film, Rachid Bouchareb ne tombe pas dans les stéréotypes, ne stigmatise pas. C'est au spectateur de se faire sa propre idée sur la question. La volonté de centrer son film autour de la mère a du sens. Cela permet, en effet, de prendre de la distance, comme Élisabeth parvient à le faire, indépendamment de la situation.

Tout à propos de: