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La Tête la première de Amélie Van Elmbt

Publié le 01/10/2012 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Des tours et des détours du désir

Bien loin d'un certain humour belge, tantôt grinçant tantôt absurde, loin des lourdeurs d'un burlesque de boulevard ou d'un surréalisme pop et rock'n'roll très en vogue en ce moment, Amélie Van Elmbt réalise un tout premier film drôle et profond, en forme de road-movie initiatique, un petit chef-d’œuvre de fraîcheur, léger et pétillant. Un vrai régal.

photo du film La tête la premièreZoé prend la tangente pour aller à la rencontre d'un écrivain qu'elle admire et dont elle se croit profondément amoureuse. Au bord de la route où elle fait du stop, elle croise le chemin d'Adrien, jeune comédien en vadrouille, qui laisse tout tomber pour la suivre tant elle l'intrigue et tant il n'a rien à perdre. Les voilà à se découvrir, à se raconter, s'inventer des histoires, s'acheminant vers Lisieux et le poète tant fantasmé, à s'échanger quelques baisers, à se donner puis se reprendre. Innocents et francs, deux gosses à la langue bien pendue fuguent, jouent, se refusent aux autoroutes toute tracées pour préférer conter fleurette sur les chemins de traverse. C'est qu'il s'agit de se trouver, et plus encore, de donner corps à son désir. Et les avancées du désir, ses allers et retours, sa lente accession à la parole sont tous aussi sinueux que la route qui mène à l'écrivain tant convoité.

 

La Tête la première a créé la surprise le mois dernier quand l'ACID annonçait sa sélection dans sa prestigieuse sélection cannoise. Amélie Van Elmbt était, jusque-là, une jeune réalisatrice pas tout à fait diplômée de l'IAD (pour cause de désaccord), qui avait longuement cherché à produire son premier long métrage. Devant des portes toutes fermées, elle s'était résolue à passer par la voie classique d'un premier court en forme de carte de visite. Jusqu'à ce que les rencontres la remettent sur son droit chemin. D'abord, il y a Jacques Doillon avec qui elle multiplie les collaborations, dont elle sera la prochaine assistante réalisatrice et qui interprète, dans son film, le rôle de cet écrivain tant admiré et tant attendu - magnifique séquence à la Doillon où il tourne autour de Zoé comme d'une proie caressée et convoitée. Ensuite, il y a une belle rencontre avec le comédien David Murgia, prêt à tenter toutes les aventures. Lancé comme un coup de dé, La Tête la première a été tourné en trois semaines, sans argent, sans producteur, mais à force de travail et de talent.
photo du film La tête la premièreCette économie de production lui donne son dépouillement. Ses décors et ses lumières naturelles lui confèrent quelque chose de presque diaphane, une légèreté qui le fait s'envoler un peu au-dessus de la terre. Ses dialogues très écrits mais spontanés, drôles et savoureux, dessinent les paysages intérieurs de chaque personnage tout en travaillant symboles, histoires et motifs à la manière de Bach, sur le mode de la variation. Avec beaucoup de candeur, Amélie Van Elmbt flirte ici avec Rohmer et Doillon, envoie des baisers à Mouret, fait des clins d’œil à Truffaut et à Godard. Boudeuse, Zoé (la radieuse et opaque Alice de Lencquesaing) avec ses cheveux fous, ses errances amoureuses et ses « Moi, j'ai envie de rien », fait résonner les ballades de Jules et Jim. À force de courir derrière elle, David Murgia a des airs de jeune chien fou à la Belmondo. Dans cette volonté de s'inventer et non pas « de devenir quelqu'un », à travers leurs corps en mouvement, leurs mots crus et directs, leurs désirs qui se dessinent et se cherchent, à travers forêts, villages et sentiers, ils racontent le même dégoût, le même rejet de leur contemporain. Et proposent la même aventure, profondément politique : aller voir ailleurs si on y est.

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