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Pasolini d'Abel Ferrara

Publié le 15/01/2015 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

"Scandaliser est un droit, être scandalisé, un plaisir. Quiconque refuse le plaisir d'être scandalisé est un blême moraliste." Pasolini (30/10/1975)

Il y a quarante ans, le 2 novembre 1975, sur une plage d'Ostie, on retrouvait un homme mort : Pier Paolo Pasolini. À la fois réalisateur, poète, militant politique et écrivain italien, Pasolini a trop parlé. Sans doute. Quoiqu'il en soit, le mystère autour de cette mort suspecte est, jusqu'alors, resté entier. Crime infâme ? Assassinat ? Complot ? De nombreuses hypothèses formulées autour de ce bain de sang, mais rien de concluant.

Pasolini d'Abel Ferrara

Dans son dernier film, sélectionné en compétition officielle à la Mostra de Venise, Abel Ferrara n'entend pas résoudre cette curieuse énigme. Ce n'est pas la mort qui est au cœur de Pasolini mais bien la vie, celle d'une personnalité riche et complexe. Même si le film se concentre sur les dernières heures du cinéaste italien, c'est un portrait aux mille facettes que Ferrara offre au spectateur dans cette coproduction entre la France, l'Italie et la Belgique.

Après le tonitruant Welcome to New York, retraçant l'affaire DSK avec Gérard Depardieu, le cinéaste italo-américain, Abel Ferrara se lance dans ce « biopic » consacré à une des personnalités les plus controversées de l'histoire du cinéma. Pasolini est une ode, un hommage puissant que Ferrara rend à Pier Paolo Pasolini. Deux marginaux qui étaient faits pour se rencontrer, d'une manière ou d'une autre.

Recevoir du premier coup le dernier film d'Abel Ferrara relève de la gageure tant il est dense, tant les narrations s'entrecroisent, tant l'intermédialité est reine. Une journée, certes. Mais, il s'en passe des choses dans la tête d'un Pier Paolo Pasolini en 24 heures.Le film s'étend du réveil au sommeil, cette mort inéluctable. Entre ces deux intervalles, Ferrara joue avec une pléthore de matériaux : des images de films, des scènes d'intérieur en famille avec sa mère et son amie, Laura Betti (incarnée par une Maria de Medeiros étincelante), une interview avec un journaliste au sujet de la sortie de Salò ou les 120 journées de Sodome, une partie de football avec des jeunes du quartier, des escapades nocturnes avec ses amants adolescents. Autant de scènes interprétées par un Pasolini d'aujourd'hui, Willem Dafoe, acteur fétiche d'Abel Ferrara. C'est que la ressemblance, tant physique qu'intellectuelle, avec l'italien est troublante.

Et puis, il y a la pensée de Pasolini qui hante le film par l'intermédiaire d'interviews, de sa correspondance, de travaux inachevés : son roman Pétrole dans lequel il dénonce la corruption des grands de son pays, son scénario de film messianique Porn-Teo-Kolossal que Ferrara met en images avec l'acteur fétiche de Pasolini, Ninetto Davoli.

Pasolini apparaît comme un savant collage de parcelles de vie et de pensée qui, une fois réunies, constituent un tout cohérent brut et puissant. L'émotion naît, petit à petit. Le spectateur se laisse imprégner, il fait irruption dans cette Italie des années 70, recrée de toutes pièces par notre compatriote Igor Gabriel.

Un film réalisé avec peu de moyens, un tournage de vingt jours avec le bouillonnant Abel Ferrara aux commandes, c'est, comme le souligne Benoît Dervaux, cadreur sur le film, parfois chaotique et laborieux. Mais le résultat est là et l'équipe de Tarantula s'en souviendra : un film (auto)biographique (oui, car Ferrara parle peut-être un peu de lui finalement), un rêve éveillé, un feu d'artifices de vices, des rythmes endiablés et endeuillés, des personnalités éclatées. Une seule envie maintenant : (re)lire les textes et (re)voir les films de cette figure majeure et incontournable du cinéma : Pier Paolo Pasolini.

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