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Souvenir of Gibraltar d’Henri Xhonneux - Belfilm

Publié le 07/09/2009 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Sortie DVD

Jeu de miroir


Quinze ans avant de signer le sulfureux et culte Marquis mettant en scène un Sade en grande conversation avec son pénis, Henri Xhonneux réalise Souvenir of Gibraltar en 1975. Bien loin du célèbre détroit, le réalisateur situe l’action de ce premier long métrage entre Bruxelles, Eupen et Welkenradt et propose une « autobiographie » familiale qui se veut avant tout une comédie populaire. Un film oublié que Paul Geens et son asbl Belfilm ont édité dans la collection Made in Belgium.

Souvenir of Gibraltar d’Henri Xhonneux - Belfilm

Federico Fellini, Fassbinder, Woody Allen, Nanni Moretti, Philippe Garrel, Wim Wenders, Abbas Kiarostami, Mohsen Makhmalbaf, Jean-Luc Godard, sans oublier François Truffaut, et plus récemment Almodovar… les grands noms du cinéma d’auteur se sont intéressés au métafilm ou pour le dire plus simplement au fait d’inclure un film dans leur film ou de traiter le cinéma comme sujet du film. Jeu de miroir qui interroge la forme.
Souvenez-vous, La Nuit américaine (François Truffaut – 1973) et le tournage épique de Je vous présente Pamela … Souvenez-vous, l’inénarrable et gigantesque casting de Salaam Cinema (Moshen Makhmalbaf – 1995).
Souvenir of Gibraltar ne montre pas réellement l’envers du décor du film en train de se faire, mais s’interroge sur la possibilité de faire un film… que l’on est pourtant en train de regarder  !
Dans son bain, le réalisateur Henri Xhonneux (interprété par l’acteur François-Xavier Morel), lit un article de journal consacré à son frère boxeur. La photo de sa belle gueule un peu cassée lui donne l’idée de faire un film sur lui, sur sa famille… Le voilà parti dans un fantasme d’une heure et demie où seront développées toutes les raisons de faire ou de ne pas faire ce film.
Il faut avant tout convaincre l’acteur principal, le frère boxeur, le taiseux Armand Xhonneux qui interprète ici son propre rôle.
Il faut aussi convaincre les parents, bouchers charcutiers de profession, incarnés eux par les professionnels aguerris que sont Annie Cordy et Eddy Constantine. Cela donne lieu à une scène savoureuse dans laquelle l’acteur sensé être le véritable père du réalisateur apprend que son rôle sera tenu par Eddy Constantine, et lui de répondre : « Enfin, j’espère qu’il sera aussi bon que moi ! » Jeu de miroir sans cesse déplacé et détourné, mise en abyme qui crée le trouble dans la convention cinématographique ou narrative, l’originalité de Souvenir of Gibraltar est de ne jamais véritablement montrer le dispositif filmique, mais au contraire de le cacher si bien que l’on doute que le film puisse se faire alors même qu’il est en train de défiler sous nos yeux.
Grâce à ce procédé, Souvenir of Gibraltar questionne la fiction et le documentaire et revient sur les enjeux du métier de cinéaste, ses contradictions, ses motivations, ses doutes et ses espoirs. « Le cinéma c’est un métier de voyeur non ? Et de buveur … » fait dire Henri Xhonneux à son double.
De l’autre côté, le frère Armand aide son père à la boucherie entre deux matchs de boxe. Sa vie est simple, silencieuse : on égorge le cochon, on passe à table, on s’entraîne pour gagner, sans trop de question. D’un côté, une vie de province simple et naturelle, de l’autre, le monde artistique et son esbroufe. Ces deux mondes que tout sépare parviendront-ils à se rencontrer ?
Mais ce qui séduit surtout, c’est que le réalisateur n’est jamais là où on l’attend et manie avec doigté l’art de l’attaque et du décalage. Magnifique scène de boxe avec pour fond sonore un cours de danse classique, burlesque nuit d’amour sous l’œil attentif de plusieurs Mickey sous forme de réveil, de miroir, de ciel de lit, scène documentaire réaliste où l’on égorge un porc. C’est la légèreté et l’insolence des années 70 qui éclate à chaque instant et nous rappelle un monde où tout était permis.


Bonus


Le jeu de quilles
Petit documentaire très années 60 pourtant réalisé en 1973, Le jeu de quilles explique, par le menu, les règles, l’histoire, la technique de ce jeu qui remonterait, paraît-il, à l’Antiquité ! Douze minutes d’images en noir et blanc montrant les joueurs et joueuses du cercle de Welkenraedt et leur savoir-faire pendant que se déploie un commentaire non moins expert. Un court métrage qui fascinera sans doute les passionnés de la boule. 
Le DVD Souvenir of Gibraltar est disponible sur www.belfilm.be.

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