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50/50 - A l'ombre du voile d'Arnaud Demuynck

Publié le 25/03/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Arnaud Demuynck est réalisateur, scénariste et producteur spécialisé dans le court et moyen métrage d’animation (5 à 6 films produits par an en moyenne). Depuis L'Écluse, une courte fiction chorégraphique réalisée en 2000, il a écrit et réalisé de nombreux films d'animation parmi lesquels une trilogie chorégraphique avec Signes de vie (2004), À l’ombre du voile (2006), L’Évasion (2007), puis une trilogie poétique qu'il coréalise avec Christophe Gautry (La Vita Nuova, Le Concile lunatique et Un spectacle interrompu) et Mémoire Fossile, coréalisé avec Anne-Laure Totaro. Avec Sous un coin de ciel bleu, son écriture s'oriente davantage vers le jeune public, soit en adaptant des contes et ritournelles traditionnels (La Moufle, La Carotte géante, La Loi du plus fort, La galette court toujours), soit en portant à l'écran des livres pour la jeunesse (Compte les moutons, La chasse au Dragon, La Licorne, Un travail de fourmis (en cours de production)). Il est également l'auteur de deux scénarios originaux de 26 minutes : Le Parfum de la carotte (coréalisé avec Rémi Durin, plus de 170 000 entrées en salles) et Le Vent dans les roseaux (coréalisé avec Nicolas Liguori), deux films dans lesquels la musique tient une place essentielle.

 

50/50 - A l'ombre du voile d'Arnaud Demuynck

Didier Stiers : De votre point de vue, onze ans après sa sortie, A l’ombre du voile est-il toujours autant d’actualité ?

Arnaud Demuynck : Je me pose toujours les mêmes questions et ça me donne toujours autant de fil à retordre. A l’époque, il y avait la loi, les manifs, on était dans le jus politique. Selon moi, la problématique des communautés, la tension est même encore plus aigüe qu’il y a dix ans. Mais le film me plaît, parce que je sais très bien la générosité et l'amour que j'ai mis dedans et ce, pour quelque communauté que ce soit. Là, ce sont des musulmans, mais c'est plus un film d'amour, né de liens d'amitié avec des gens que je connais, plutôt qu'un film polémique qui suscite un avis politique.

 

D.S : Mais il peut aussi être perçu comme tel ? 

A.D. : Oui, mais je me dis que je peux parler de ce que je veux en tant que citoyen. Beaucoup de jeunes musulmans me disaient que je n’avais pas le droit de parler de ce sujet-là, parce que je n’étais pas musulman. Et là, on entrait dans des discussions sur l’obligation, l’obéissance à Dieu, etc. Et voilà, c'est toujours aussi pertinent et intéressant aujourd'hui cette « non réponse » à la question du port du voile !

 

D.S. : Au-delà de la liberté du citoyen, n’y a-t-il pas aussi celle de l’artiste ?

A.D. : Carrément, mais pour ces jeunes auxquels je faisais allusion, c'est un film qui est tellement ancré dans un sujet de société que l'artiste là-dedans, pfff ! Or, j'exprime des émotions, un désarroi, quelque chose en quoi je crois, mais je n'ai en rien le droit d'imposer, ni d'être péremptoire. L'artiste se permet juste un champ d'action plus large et plus généreux.

 

D.S. : L'animation étant ce qu’elle est, devrait-elle, selon vous, faire l'objet d'attentions plus spécifiques de la part des commissions attribuant des aides ? 

A.D. : J'ai envie de dire qu’elle devrait être traitée de la même manière et être traitée avec une attention particulière. Pour l'instant, l'animation est moins facilement comprise : en général, la culture de la majorité des membres de ces commissions, ou même des académies, est fictionnelle. D’accord, il existe maintenant un Magritte de l'animation, mais je pense que 90% des votants sont dans la fiction, et ça a une influence. Alors, c'est délicat, parce que je n'aimerais pas mettre l'anim' dans un ghetto, donc c'est bien que ce soit ouvert. D’un autre côté, si les commissions sont moins aguerries à l’animation, elles le sont encore moins à l’animation jeune public dans laquelle mon parcours m’a amené à travailler. Depuis 5 ans, j'ai assez de mal à avoir de l'aide de la Fédération pour mes courts-métrages. Alors qu’A l'ombre du voile est passé quasiment du premier coup, parce que le sujet avait fort touché le public adulte. Signes de vie a eu du mal à passer, mais j'ai eu la chance d'avoir quelqu'un de très sensible à la danse contemporaine à la Commission et qui a vraiment bien défendu mon projet sous cet angle-là. Finalement, je crois que l'animation doit faire l'objet d'égalité, mais d'un apprentissage, parce qu’on est loin derrière en termes de culture.

 

Didier Stiers

 

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