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Janssen & Janssens draaien een film (Dupont et Dupond font du cinéma), Robbe De Hert et Luc Pien, 1990

Publié le 26/09/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Ce documentaire co-réalisé par Robbe De Hert et Luc Pien retrace de manière engagée l’histoire du cinéma belge flamand, depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années 1980. Au moyen de pièces d’archives et d’entretiens avec des personnalités majeures du cinéma flamand, le film revient sur les combats menés pour promouvoir le cinéma, tout en délivrant des anecdotes hors du commun sur la production de certaines œuvres. Des extraits de films accompagnent élégamment cette rétrospective, offrant un panorama riche et incarné. Le tout sur un ton très caustique qui illustre intelligemment la complexité des rouages de l’industrie cinématographique. 

Janssen & Janssens draaien een film (Dupont et Dupond font du cinéma), Robbe De Hert et Luc Pien, 1990

Commençons en nous arrêtant sur le générique d’ouverture qui préfigure parfaitement le style du documentaire par son côté à la fois mélancolique et décalé. Des extraits de films montés avec une grande adresse, rythmés par une série de musiques de différents styles, mais qui ont toutes quelque chose de solennel, de décisif. Les premiers mots sont ceux du producteur Henri Storck qui explique le contexte dans lequel des traités ont été signés avec les États-Unis, interdisant au gouvernement belge le recours aux finances publiques pour produire son cinéma, de manière à faciliter la diffusion quasi exclusive de productions américaines... C’est sur cette note grinçante que commence la route complexe et irrégulière au cœur du cinéma flamand, en compagnie de ses plus éminents représentants, notamment Roland Verhavert, Ivo Michiels, Hugo Claus, Matthijs van Heijningen, ou encore Harry Kümel. 

 

Dès le début des années 1950, la communauté flamande peine à définir son propre cinéma, à se marginaliser des productions européennes tout en gardant une certaine cohérence avec le style du moment et les attentes des spectateurs. D’un côté le succès provient des documentaires et des comédies populaires portées par des vedettes du genre, de l’autre apparaît une volonté de réaliser des films culturels, des films “à messages”. Cependant, l’argent est souvent mal distribué, mal dépensé, voire gaspillé. Pour l’heure, seul le cinéma érotique de Guido Nijs parvient à se vendre à l’étranger. Dès lors, à partir de 1964, un système de subventions publiques est mis en place pour produire, promouvoir et diffuser de nouveaux films. Mais l’argent qui tarde à venir est finalement à aller chercher du côté de la télévision, quitte à affaiblir considérablement le nombre de sorties en salles. Les premières subventions permettent un renouvellement créatif audacieux, que porte une génération de jeunes réalisateurs qui, faisant de la nudité et des passions charnelles un motif récurrent, suscite la désapprobation des cercles culturels influents, élitistes et conservateurs. 

 

Janssen & Janssens draaien een film (Dupont et Dupond font du cinéma) est donc un film qui parle de détermination, mais aussi de découragement ; de coalitions et d’inégalités. Les deux réalisateurs, par la justesse de leur travail, parviennent à recontextualiser les circonstances sociales, politiques et culturelles dans lesquelles la communauté flamande a œuvré pour créer son identité cinématographique. Ce documentaire a quelque chose d’émouvant dans le récit de triomphes notoires, mais aussi dans la manière de déplorer certains manquements et regrets, voire un état de stagnation qui a coûté cher aux productions locales. Mais ce film est surtout chargé d’ironie et de sarcasme, de la part des intervenants dont les propos sont rapportés, mais également dans les choix de réalisation et de montage. 

Ainsi est retracé un chemin perpétuellement en dents de scie, fait d’histoires joyeuses, mais aussi très sombres, au gré des ambitions créatrices et des conflits d’intérêts, laissant sur le bas-côté quelques grandes opportunités et quelques grands talents n’ayant jamais eu les possibilités matérielles et financières de développer leurs films.

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