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La Grande Barrière de corail de Pierre Levie, Pierre Dubuisson et Michel De Mevius, 1969

Publié le 29/11/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

À la fin des années 1960 et à l’occasion d’une expédition scientifique de cinq mois, des biologistes, des géologues ainsi que des cinéastes belges se rendent au large de l’Australie pour y explorer les mystères naturels de la Grande Barrière de corail. Avides d’expériences inédites et de découvertes stupéfiantes, l’équipe met en place une impressionnante organisation logistique qui lui permet de se réjouir d’un des plus grands spectacles qui soit possibles d’observer.

La Grande Barrière de corail de Pierre Levie, Pierre Dubuisson et Michel De Mevius, 1969

Emmené par les voix fascinantes et les commentaires atypiques de deux narrateurs forts concernés par l’affaire en cours, ce documentaire plonge littéralement et symboliquement le spectateur dans un site à la fois paradisiaque et anxiogène. Une gigantesque biodiversité qui s’épanouit dans le silence des profondeurs calmes et limpides. À cette époque, les prises de vue sous-marines étaient une tout autre affaire qu’aujourd’hui, et pourtant, le résultat est bouleversant ! Une qualité visuelle hors norme, des déplacements de caméra d’une grande souplesse, une représentation des couleurs et des contrastes tout bonnement optimale. Nous sommes donc conviés à plonger nous aussi, à suivre l’équipage dans l’instant, à écouter les explications des narrateurs et à se laisser bercer par les interludes musicaux. 

Ce document filmique constitue à lui seul un objet cinématographique et patrimonial d’une grande valeur. De plus, il est d’une certaine manière son propre documentaire puisque les moyens techniques déployés sont détaillés avec précision en voix off, de même que les différentes étapes narratives qui construisent le film. On voit notamment des plongeurs descendre dans les profondeurs munis d’éclairages lourds et encombrants, installer des trépieds sur le sol instable, filmer de nuit, tout cela malgré les courants et la faune alentour. L’un des narrateurs souligne à très juste titre la bravoure des membres de l’équipe qui s’engouffrent au cœur de l’inconnu et qui coudoient, sans aucune protection visible, les mille cinq cents espèces de poissons qui peuplent le site, dont les plus voraces sont tout simplement des requins. Dès lors, le film a quelque chose d’angoissant, voire d’effrayant. Mais d’un autre côté, il se définit par une certaine légèreté de traitement, un sens de l’humour et de l’ironie plutôt bien aiguisé, un goût pour la pure contemplation, ajoutant une certaine insouciance poétique à cette expédition sous-marine. On peut observer les plongeurs et plongeuses, se divertir des mollusques, polypes et poissons qui les entourent, les nourrissant et les taquinant librement.

Dans cette même perspective, Pierre Levie s’épanouit à mettre littéralement en scène les différentes espèces animales et végétales que rencontre sa caméra. Montage et son s’accordent alors pour créer des scènes burlesques où l’on voit de minuscules et impayables coraux, vers ou poissons se mouvoir au rythme du violon ou du piano. Ainsi, Pierre Levie raconte à sa façon leur histoire. 

À bord de l’embarcation principale, des laboratoires sont installés pour des expériences menées en chemisette et en tongs. Il est alors tout aussi intéressant de découvrir l’extraordinaire richesse et bizarrerie des récifs coralliens, que de participer aux prélèvements et recherches supervisés en direct. Les commentaires en voix off tissent un lien de rapprochement entre les différents acteurs de l’expédition et les spectateurs, soutenant l’intérêt culturel et scientifique que revêt le film. Mais la performance que l’on retient aussi consiste à créer une trame narrative et des effets cinématographiques à partir de ce projet d’expédition et de ses découvertes. De plus, le film contient cette chaleur de texte et de traitement visuel que proposait le cinéma européen des années 60, cet élan documentaire et poétique à la fois, annonciateur d’une liberté esthétique souhaitée.

 

La Grande Barrière de corail a été restaurée par CINEMATEK, avec l'aide du Centre du cinéma de la FWB.

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