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Sea Fever de Neasa Hardiman

Publié le 24/08/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

C’est la mer qui prend l’homme 

Afin de terminer son doctorat, Siobhán (Hermione Corfield), une étudiante en biologie marine un peu asociale, spécialisée dans les modèles de comportement fauniques, est contrainte de passer une semaine sur le Niamh Cinn Óir, un vieux chalutier appartenant au skipper Gerard (Dougray Scott) et à sa femme Freya (Connie Nielsen). Elle est d’emblée mal accueillie par certains membres de l’équipage, notamment par Clara, une femme plus âgée et terriblement superstitieuse, qui voit dans la couleur de ses cheveux (Siobhán est rousse) une malédiction.

Sea Fever de Neasa Hardiman

A la tête d’une embarcation comptant sept âmes à son bord, Gerard et Freya sont endettés jusqu’au cou et ne peuvent même plus payer le salaire de leurs matelots. Sans prévenir le reste de l’équipage, Gerard emmène le chalutier à l’ouest de l’Irlande, dans une zone de pêche interdite, espérant pouvoir rembourser toutes leurs dettes avec la cargaison qu’ils vont ramener. Le stratagème fonctionne et les cales sont vite remplies de poissons frais. Mais peu de temps après leur départ, la coque du bateau heurte « quelque chose d’énorme » et le chalutier se retrouve enserré par une forme de vie inconnue, qui l’immobilise au beau milieu de l’océan. Désignée pour plonger afin de voir à quel danger ils ont affaire, Siobhán découvre plusieurs longues et fines tentacules phosphorescentes qui s’accrochent à la coque et au bois du bateau, trouant celui-ci à plusieurs endroits et déversant à travers les brèches une vase bleue gluante. Pas de doute, selon la jeune femme, il s’agit d’une nouvelle espèce de calmar géant, inconnue des scientifiques.  

Gerard insiste pour continuer dans la même direction, avec une seule idée en tête : capturer la créature, ce qui lui rapporterait une fortune ! Mais l’équipage marche sans le savoir sur la substance qui se propage rapidement partout dans le chalutier, notamment à travers l’eau de la salle de douche. La citerne d’eau fraîche est entièrement contaminée. Les tentacules du monstre lâchent subitement prise et relâchent le bateau, mais une terrible infection se propage à bord : des milliers de minuscules organismes ressemblant à des larves viennent se loger dans la rétine des malades, qui deviennent aveugles avant de mourir dans d’atroces souffrances.  

La paranoïa s'installe chez les survivants. Chacun pense que son voisin a été contaminé. Siobhán insiste pour que le chalutier soit mis d’urgence en quarantaine. Mais, de leur côté, Gerard et Freya ne pensent qu’à rentrer pour emmener les infectés à l’hôpital. Or, comme Siobhán le fait remarquer, laisser un seul d’entre eux débarquer sur la terre ferme risquerait de mettre le reste de la population en danger. Il est impératif de contenir le parasite mortel à bord. Une solution qui ne contente pas tout le monde. Mettant toutes ses connaissances scientifiques à l’ouvrage, Siobhán essaie coûte que coûte de trouver une solution pour survivre tout en empêchant le Niamh Cinn Óir d’arriver au port, quitte à trahir l’équipage…

 

Un virus mortel qui se transmet à toute vitesse et qui exige un confinement de gré ou de force ? Sans le vouloir, la réalisatrice Neasa Hardiman, vétéran de la télévision irlandaise et américaine, vient de réaliser un film (son deuxième pour le cinéma, une coproduction belge via Wallimage) à l’actualité brûlante. Si le projet fut à l’origine conçu comme une métaphore du réchauffement climatique, les parallèles avec les problématiques qui nous occupent en 2020 sautent aux yeux et plusieurs scènes d’hystérie ou de débats houleux s’apparentent à un petit guide du comportement à ne surtout pas observer en cas de pandémie généralisée.

 

Bien entendu, nous sommes avant tout dans un film de pur divertissement, un « creature feature » avec une bestiole aquatique, que l’on imagine gigantesque, qui va (indirectement) décimer un à un les membres de l’équipage ou les pousser à en finir. Or, la direction choisie par la réalisatrice est celle de l’austérité : en dehors de ses tentacules, nous ne verrons jamais le monstre ni le bout de sa queue (en ce sens, le poster français du film s’avère complètement mensonger). Le calmar reste une présence invisible tout du long, un animal dérangé sur son territoire et qui ne cherche qu’à se nourrir. A cet égard, certains ont reproché au film son rejet du spectaculaire et son manque de péripéties et de rebondissements.  

 

Le récit prend plutôt des allures de pièce de théâtre claustrophobe, un film choral et ambitieux qui fait la part belle à ses acteurs plutôt qu’au grand spectacle (même si les scènes sous-marines et la photographie s’avèrent de toute beauté) : les marins débattent (un peu), se disputent (beaucoup), se mettent sur la gueule (quelques fois), tissent des liens, prennent des décisions douloureuses et pleurent leurs morts ensemble. Nous sommes donc très loin des codes habituels du film de monstre, l’accent étant mis sur les comportements humains comme la lâcheté et la superstition d’un côté, le courage et le sens du sacrifice de l’autre.L’énigmatique héroïne, interprétée par le jeune mannequin Hermione Corfield, ne dévoilera l’ampleur de sa profonde humanité que lors d’un climax absolument déchirant. De l’émotion dans un film de monstre ? Neasa Hardiman ne fait décidément rien comme les autres !

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