Après la divine surprise de Kirikou et la sorcière, on se disait qu'il serait bien difficile pour Michel Ocelot de revenir avec un projet à la hauteur de ce qu’il faut bien appeler un chef-d’œuvre. La sortie, l’année dernière, de Kirikou et les bêtes sauvages, davantage opportuniste, avait laissé la question en suspens. Avec Azur et Asmar, nous sommes tout à fait rassurés et, une fois de plus, émerveillés. C’est une nouvelle perle aux reflets nacrés qu’il propose au spectateur exigeant. Ici, plus question de l’Afrique noire, de ses paysages colorés et chatoyants, de sa sagesse ancestrale. Nous voici au Moyen Age, dans l’univers des miniaturistes, des livres d’heures, des peintres Van Eyk, Fouquet, Van der Weyden et des miniatures persanes. Il nous concocte une histoire magnifique, inspirée des chants de troubadours et des contes des mille et une nuits, toute empreinte de tolérance, d’ouverture à l’autre et de refus des préjugés. Une histoire qui mise également sur l'intelligence du spectateur, jeune et moins jeune. Et cela, qu'est-ce que ça fait du bien !
Azur et Asmar de Michel Ocelot
Pétillant d'intelligence
Dans un château au Moyen Age, deux enfants grandissent côte à côte : Azur, le fils du seigneur et Asmar, celui de sa nourrice. Le petit Azur ayant perdu sa mère à la naissance est en effet confié aux soins de la belle Jenane, venue de loin au-delà des mers. Celle-ci élève les enfants comme deux frères, même si les yeux d’Asmar sont aussi noirs que ceux d’Azur sont bleus, ses cheveux aussi bruns que sont blonds ceux de son frère de lait. Jenane ne fait aucune différence. Elle leur raconte les mêmes histoires de son pays, comme celle de la fée des djinns qui attend dans une caverne lumineuse qu’un prince intrépide la délivre et l’épouse afin qu’ils puissent assurer ensemble la prospérité du pays. Les deux petits grandissent ainsi, alternant jeux et chamailleries. Mais le fils d’un seigneur peut-il longtemps partager les jeux du fils de sa nourrice ? Bientôt, Azur est emmené à la ville, chez son précepteur, et Asmar et sa mère, devenus inutiles au château, sont renvoyés avec ce qu’ils portent sur le dos.
Lorsqu’Azur revient, c’est un jeune homme éclatant de beauté et de noblesse, qui n’a oublié ni son frère, ni sa mère d’adoption, ni la fée des djinns. Convaincu de l'existence de cette dernière, il s’embarque sans hésiter, prêt à affronter toutes les épreuves pour arriver jusqu’à elle. Une tempête le jette sur un rivage inhospitalier, dans un étrange pays, de l’autre côté de la mer, où l’on croit que ceux qui ont les yeux bleus portent malheur. Azur devra s’adapter à cette région inhospitalière. Il vivra mille mésaventures, rencontrera Crapoux, le mendiant rusé et roublard dont il fera son ami, retrouvera Jenane et Asmar, fera la connaissance de la mystérieuse princesse Chamsous-Sabah. La vie, bien sûr, a séparé Azur et Asmar qui partiront chacun de leur côté pour vivre l'épopée de leurs rêves. Mais les deux frères pourront-ils longtemps faire route à part ? Et lequel des deux fera la conquête de la fée des djinns ?
Cette histoire, comme celle de Kirikou, est soigneusement écrite, riche en événements annexes, en personnages secondaires, en animaux fabuleux qui tous ont un sens, une raison, un rôle bien particulier. On est loin des scénarios simplistes et linéaires habituellement réservés aux films pour enfants. La raison en est simple, c’est que Michel Ocelot ne fait pas de films "pour enfants"."Les enfants n’ont rien à faire de films qui soient faits et pensés uniquement pour eux. Ils n’ont pas besoin de rester en territoire connu, ni d’avoir une compréhension immédiate. Ils ont besoin d’apprendre le monde, de découvrir de nouvelles choses". Et de fait, lorsqu’il s’adresse aux enfants, jamais Ocelot ne cède à la facilité. Un exemple ? Azur et Asmar sont tous deux bilingues, se parlant tantôt en français, tantôt en arabe. Et alors que pas un dialogue du film n’est sous-titré, croyez-moi, on comprend tout. Enfants comme adultes, tout le monde tire son profit d’un film ainsi réalisé.
Par ailleurs, comment passer sous silence le splendide travail artistique que représente la création des personnages et des décors ? On connaît l'amour que porte le réalisateur à cet aspect de son travail, on sait moins le rôle essentiel qu'y joue la responsable des arrière-plans, Anne-Lise Koehler, dont les talents d'illustratrice sont à la hauteur de l'exigence de son directeur. Un univers personnel minutieusement et rigoureusement créé quelque part entre la peinture du Moyen Age, les miniatures persanes, l'univers d'Ali Baba, les paysages et les architectures du sud de la méditerranée, du Maghreb à la Turquie.
Un résultat très différent de Kirikou mais tout aussi merveilleux, avec une richesse inouïe des couleurs, des tons, des dégradés, des camaïeux. Et, lorsque Michel Ocelot et son équipe reprennent leur liberté de création, (pour la faune et la flore qui peuplent leurs paysages par exemple), quel émerveillement ! On reste bouche bée devant le superbe lion écarlate ou le mythique oiseau roc.
Des qualités qui font largement oublier les quelques faiblesses du film : une histoire peut-être trop gentille, ou qui repose sur des concepts un peu trop consensuels; une animation qui manque parfois de souplesse ou de fluidité (Il est vrai qu'il est difficile d'animer avec naturel des personnages dans un cadre où est transposée l'absence de perspective typique de la peinture médiévale) et un recours parfois un peu trop voyant à la 3D. Azur et Asmar est un superbe spectacle familial, au sens le plus noble du terme, qui réconcilie l'intelligence avec le cinéma et qui, selon la très jolie phrase d'une de nos consœurs française, est un véritable chant d'amour à la culture de l'autre et à la coexistence harmonieuse dans la diversité. Ce n'est pas la plus négligeable de ses qualités dans une époque où ces concepts sont de moins en moins à la mode et de plus en plus nécessaires.