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Backstage de Afef Ben Mahmoud et Khalil Benkirane

Publié le 30/11/2023 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

Que se passe-t-il vraiment dans les coulisses d’un métier-passion ? La danse est-elle vraiment une balade de santé ou est-on tenté parfois de tout envoyer valser ? Sélectionné aux Giornate degli Autori de la 80e Mostra de Venise et présenté au festival Cinemamed, Backstage, le premier film du duo - dans la vie comme derrière la caméra - Afef Ben Mahmoud et Khalil Benkirane débute sur les chapeaux de roues. Propulsée violemment sur le sol par l’un des danseurs lors de l’avant-dernière représentation de la tournée, Aïda, incarnée par la réalisatrice au passif de danseuse, est blessée. Une situation initiale violente qui remet en cause la participation de la ballerine à la dernière date de la tournée et dégrade profondément les relations au sein de l’équipée.

Backstage de Afef Ben Mahmoud et Khalil Benkirane

Une loi de Murphy plus tard, le bus, transportant ces artistes tunisiens sur les routes caillouteuses du Maroc, direction leur der des der sur scène, tombe en panne en plein cœur de la forêt. Dans cet enfermement forestier, parmi les bruissements de feuilles et les grondements de bêtes, la troupe - amas de corps chorégraphiques - se met à penser, à effectuer une introspection et à s’ouvrir sur les tensions qui pourrissent la dynamique. Mais aussi à panser leurs plaies physiques et mentales qui semblent exacerbées. La plongée dans les coulisses nous révèle bientôt une érosion des physiques liée au trop grand investissement que requiert le 6e art, et une fatigue émotionnelle due à des parcours de vie éreintants : entre migrations douloureuses, perte de proches lors du Covid, ou souvenirs encore brûlants de la violente décennie noire qui a marqué le Maghreb dans les années 90. Quoi de mieux alors, pour exprimer des doutes indicibles et pour se soulager d’une peine ineffable, que de mettre son corps en mouvement ? Des danses hypnotiques s’invitent bientôt dans ce décor enchanteur et mystérieux, au milieu d’étranges lueurs néonifiées et d’apparitions d’animaux fantomatiques. Une thérapie poétique bienvenue au sein de cette famille choisie, heureusement plus saine et moins mortifère que dans le Climax de Gaspar Noé.

 

Le film se pare alors des attributs oniriques du réalisme magique pour illustrer ces voyages intérieurs. Une patte créative que l’on doit au chef opérateur Benjamin Rufi, qui nous prouve dans la foulée de son travail sur le film Zanka Contact, sa connaissance et son amour des couleurs chaudes du royaume chérifien. Tout en laissant s’imprimer sur notre rétine un paysage de portraits humains, uniques et édifiants, parfaitement menés par deux pointures du cinéma arabe : Afef Ben Mahmoud (Amel et les fauves) et Saleh Bakri (La Visite de la fanfare et Le Bleu du caftan). Eux-mêmes soutenus par un melting-pot d’artistes issus des quatre coins du monde : les chorégraphes Sondos Belhassen et Hajiba Fahmy, le circassien Ali Thabet, les danseurs Sofiane Ouissi et Nassim Baddag, le performeur Abdallah Badis ou bien encore la designer Salima Abdel Wahab. Des artistes multidisciplinaires qui, dans ce huis clos sous les arbres, sont la sève de ce beau film.

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