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BLOCKBUSTER, dernière création du Collectif Mensuel, au Théâtre de Liège

Publié le 12/10/2015 par Nastasja Caneve / Catégorie: Événement

Quand le cinéma américain s'immisce au théâtre belge

La scène est un peu bordélique, des lampes de chevet diffusent de la lumière jaunâtre, les instruments de musique ronflent encore, du bric et du broc, un écran surplombe. Silence. Cinq ombres déambulent dans l'obscurité, au fond. Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier et Renaud Riga s'avancent. Les consignes sont claires, les comédiens et musiciens ont besoin de notre aide avant de commencer: premier enregistrement de nos applaudissements, deuxième enregistrement du célèbre hymne "Tous ensemble, tous ensemble. Hey! Hey!" entonné par nos soins. Les sons sont dans la boîte, everybody is ready, let's go.

Chacun à son poste et la frimousse du lion de la Metro Goldwin Mayer surgit sur l'écran dans le fond et on l'entend qui rugit. Sauf que c'est le cri de Baptiste Isaia qui résonne dans un seau en fer, là, devant nous. Premier bruitage d'une longue série puisque c'est une des marques de fabrique de la dernière pièce du Collectif Mensuel. Les comédiens et musiciens vont, en direct, doubler les voix, vont reproduire les bruits, vont créer la musique d'un film qui sera projeté sur le fameux écran, à l'arrière plan.

Quel film? Celui qu'ils ont réalisé, enfin, plus ou moins. Ils ont cherché, farfouillé dans leur mémoire de cinéphiles, ils ont choisi et assemblé 1400 plans issus de 144 films américains à succès, des années 1980 à aujourd'hui. Donc, un film, Blockbuster, avec en guest-star: Julia Roberts, Sean Penn, Tom Cruise, Brad Pitt et, en prime, les beaux muscles de Sylvester Stallone. Que du beau monde pour l'ouverture de la saison du Théâtre de Liège.

Et le scénario? Et bien, c'est le Collectif, avec la collaboration de l'écrivain liégeois Nicolas Ancion, qui l'a pondu. Ils avaient déjà travaillé ensemble pour raconter l'enlèvement de Lakshmi Mittal, L'homme qui valait 35 milliards. Révoltés, insurgés, cœurs vaillants, les membres du Collectif Mensuel n'ont peur de rien et font des étincelles (pour de vrai). L'histoire de Blockbuster s'ancre dans notre contexte de crise actuelle où les inégalités sociales sont légions, où l'austérité règne, où certains s'en mettent plein les poches pendant que d'autres galèrent sévère. La révolte populaire s'organise, "Tous ensemble, tous ensemble! Hey! Hey!" (et là, les spectateurs reconnaissent leur voix préenregistrée au début du spectacle), le chaos est proche.

Quel boulot les amis... Tout a commencé par un travail d'écriture. Ensuite, le Collectif a choisi son casting pour son blockbuster: des acteurs qu'ils affectionnent pour jouer les gentils et ceux qu'ils n'aiment pas pour jouer les méchants. On aime beaucoup Brad en chômeur, Senn qui fournit des repas aux sans-abris, Julia en journaliste engagée, Sylvester en killer de gauchistes. Les acteurs trouvés, il a fallu regarder tous leurs films et piocher des scènes pour coller au scénario initial, parfois réadapté en fonction des trouvailles. En s'appuyant sur ce nouveau monstre cinématographique monté par Juliette Achard, les acteurs, Sandrine Bergot, Baptiste Isaia et Renaud Riga ont pu s'en donner à cœur joie en interprétant les héros de leur jeunesse. Plus facile à faire avec les mauvais acteurs qu'avec les bons, on ne citera pas de nom. Et puis sont arrivés les bruitages créés entièrement par le Collectif sur scène, après le coaching non négligeable de Céline Bernard. On a beaucoup aimé le bruit de l'hélico, avec Sandrine qui agite vivement une feuille de papier et Baptiste qui se tapote énergiquement le bidon. Effet garanti.

Le spectacle a fait salle comble presque tous les soirs, grande première pour le Théâtre de Liège. Comment expliquer cet engouement populaire? Un investissement affectif, social et total des spectateurs. Ce spectateur qui reconnaît les films de sa jeunesse, qui rit de voir les stars hollywoodiennes réincarnées en hommes et femmes proches de lui, qui suit le propos qui le touche directement, qui est intrigué par les bruitages (le travail est d'une précision incroyable), qui est embarqué par la musique, qui ne veut pas en perdre une miette. Parce que, comme dans un blockbuster, le spectateur, tenu en haleine du début jusqu'à la fin, veut des courses poursuites, des explosions, d'horribles méchants et des gentils qui sortent victorieux de la bataille.

On ne sait pas si Blockbuster va changer le monde dans lequel on vit mais la pièce constitue une belle tentative d'éveiller les consciences endormies. Ce mélange théâtre/cinéma (et pas n'importe quel cinéma, justement celui plein de pognon et de paillettes), brise les codes et permet de toucher un plus large public, les jeunes, ceux qui ne sont pas friands de scène théâtrale parce que jugée trop intello ou juste pas motivés. Un détournement de scènes qui claque, un mashup truculent, des comédiens d'une minutie déroutante, un résultat plus que probant. Cette coproduction entre le Théâtre de Liège et le National à Bruxelles va tourner, alors on y va. Pop corn prohibé.