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Bobigny Pablo Picasso : La clarté dans l'obscurité

Publié le 05/05/2014 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Passer, ne fut-ce que deux jours, à Bobigny et loger à Montreuil, cela vous offre un autre regard sur les salles de cinéma existant dans les quartiers en périphérie de Paris. On est loin du quartier Latin et de ses nombreuses salles pour étudiants.

Le Festival Bandes à part, le festival frondeura lieu chaque année, à Bobigny. Pour son 25e anniversaire, le festival a décidé de diffuser l'intégrale des films de Chantal Akerman, après ceux de Philippe Garrel, l'an passé, et avant cela, Alain Tanner, Marco Bellochio, Manoel de Oliveira et bien d'autres… La nouveauté cette année était d'y joindre « les nouvelles écritures cinématographiques » autour de trois axes :

- un focus belge,

- des découvertes françaises

- un hors-champ international.

Bobigny Pablo Picasso : La clarté dans l'obscurité

Je n'ai pas eu le temps de tout voir, mais j'en ai entendu causer et j’en ai vu à Bruxelles. Car si le numérique offre une palette de conneries qui ne cessent d'accélérer la bêtise humaine, il offre aussi des images intéressantes en dehors de l'esthétique publicitaire dominante. Et même - oui, oui, oui-, des arabesques fertiles en découvertes (comme Quand je serai dictateur de Yaël André programmé au Festival).

Aussi incroyable que cela puisse paraître, les salles du « Magic Cinéma » sont sous un Centre commercial. En ces temps où la pauvreté se déchaîne sur le peuple de plus en plus abasourdi par l'arrogance des 5% de riches, les habitants de cette cité multiculturelle ont-ils encore assez d'argent pour augmenter leur connaissance du monde avec les images cinématographiques et non pas seulement devant les écrans publicitaires qu'on leur offre gratuitement à l'étage du dessus ? Cette question nous taraude…

Dès lors, aussi circonspect qu'un sioux, on entre dans la grande salle à 15 heures pour voir Chantal par Chantal, émission culte de Cinéma de notre temps.Horreur et malédiction, 10 personnes de plus de 60 ans, et un couple d’étudiants enflammés... par Chantal, qui, sur l'écran, s'amuse face caméra à inventer un autre parcours cinématographique que le sien à côté d'un chien blanc.
Séance suivante, la salle se remplit à moitié pour voir
Les années 80, un film réalisé afin d'obtenir le budget financier pour tourner Golden Eighties,sa superbe comédie musicale. On attend donc la suite, serein, sans stress, cool, mec. Bardaf. Dominique Bax, la directrice du « Magic cinéma » et du Festival et Charlotte Laine, son adjointe m'observent de travers. Hum Hum… « Bonjour mesdames, le festival a l'air de bien se dérouler.. » Elles me lancent un regard du genre « mais quel faux cul ce photographe copain de Chantal »... Silence assourdissant suivi ces mots : « Comment ? Vous n'êtes pas au courant ? La maman de Chantal est morte à 5 heures du matin et elle est rentrée à Bruxelles ! » Gloups. Moi qui n'ai pas de téléphone portable, je ne suis pas prêt de changer d'avis… Derrière moi, Louis Héliot du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris me tape sur l’épaule. Je lui annonce la nouvelle. Il devient blanc comme du « plate kaas ». Un ange passe… Mais Dominique – qui a vingt ans de Festivals – maîtrise parfaitement cette délicate situation. La leçon de cinéma de Chantal aura lieu, dans une salle pleine à craquer. Claire Atherton, la monteuse des films de Chantal, la remplace et celle-ci à son tour l'est par Jean-Baptiste Chauvin, critique aux Cahiers du Cinéma. On y apprend plein de choses intéressantes sur l'univers de Chantal qui pose des problèmes à certains spectateurs : le temps et sa durée. Pour Claire Atherton, Chantal, dès la prise de vue, a le bon tempo. On la prend pour une cérébrale alors qu'elle fonctionne à l'intuition ; elle mélange la rigueur et la souplesse ou plutôt l'abandon... se laisser aller et ne pas perdre son temps à se justifier, sinon le désir s'en va. Pour Chantal, dans D'Est et Sud, il s'agit de construire une tension en explorant les différents niveaux d'émotion, de la joie à la tristesse.

20H30, Lio et Fanny Cottençon ont présenté Golden Eighties, autre salle comble et, à la fin du film, j'entends autant d'applaudissements que lors de la projection au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, en 1988.

Il y aurait beaucoup de choses à ajouter sur les salles de banlieue à Paris, comme le Méliès menacé à Montreuil, dans l'un des quartiers les plus cools de Paris. On y côtoie des Sénégalais, des Libanais, des Algériens, des Vietnamiens... Mais c'est trop pour la place qui me reste et qui n'est pas consacrée à la richesse des ethnies du monde.

Ajoutons tout de même une bonne nouvelle à Bruxelles. Une bande de fous relancent l'ABC, une salle du boulevard Adolphe Max qui diffusait - jusqu'il y a six mois - des films pornos de tous les pays et offrait, avant la séance, des striptease sur scène. Avec les DVD et Internet, c'était évidemment devenu ringard, les bénefs se sont écroulés. Aujourd’hui, on essaie d’en faire une salle d'art et d'essai comme le Nova.

Dites donc, vieux brigand, quittez Bruxelles plus souvent, me dit-on, il s'en passe des choses lorsque vous allez ailleurs avec votre sac sur le dos !

Publication, livre

Monographie - Bobigny 2014