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C’est mon homme de Guillaume Bureau

Publié le 24/04/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

A la clausule de la Première Guerre mondiale, Julie Delaunay doit brusquement s’habituer à vivre privée de son époux Julien, mort sur le front. Or, très peu de temps après, un journal publie la photo d’un homme amnésique rescapé de la guerre ; Julie est persuadée d’y reconnaitre Julien. Elle fournit des preuves qui lui permettent de le ramener chez eux pour y reprendre leur vie. Tandis qu’un amour majestueux les étreint de nouveau, une femme sort de l’ombre pour affirmer que Julien n’est autre que Victor, son propre mari.

C’est mon homme de Guillaume Bureau

Le film de Guillaume Bureau ouvre les voies d’un parcours impossible vers le triomphe de la vérité. Un combat tout bonnement saisissant, parce que très noble et très passionné. Le drame, comme un heurt violent, vient altérer ou resserrer les relations entre les personnages, dont le réalisme très juste accroît la force évocatrice du récit. Tant de difficultés permanentes, celle tout premièrement pour Julie de prouver l’identité de son mari, en séparant les critères biologiques et civils des impressions du cœur, des représentations intimes et sensorielles ; puis celle de tirer ce mari tant aimé du néant temporel dans lequel il se trouve, de lui construire un présent tout en s’efforçant de réanimer son passé. Dans ce contexte à la fois fragile et nerveux, quelques personnages remarquablement construits entourent la vie du jeune couple : le frère de Julien, médecin consciencieux et homme loyal, proche de Julien et dévoué de Julie. Le second médecin en charge de Julien au sein de la clinique, homme droit et obséquieux. C’est lui qui reçoit les deux femmes prônant leur légitimité à l’égard de Julien, et qui examine leur déposition. Son jugement, prétendument magnanime fait basculer le récit d’un registre à un autre, d’un univers à un autre, d’une réalité à une autre. Julie investit de toute sa personne et de tous ses moyens pour garder le contrôle de la situation, mais elle découvre avec amertume que tout ne dépend pas d’elle, mais également des choix de Julien. Ce dernier, malmené par le destin, par le temps et par lui-même est tantôt photographe installé à Dinan et propriétaire d’une belle demeure, tantôt serveur dans un music-hall parisien, et lanceur de couteaux aux côtés d’une célèbre chanteuse adulée de son public.

C’est mon homme raconte aussi l’opposition d’une femme devant les institutions juridiques. Tout d’abord sceptique à l’égard de la méthode et de la parole scientifique, Julie voit se creuser son impuissance à obtenir gain de cause. Elle n’aura dès lors aucun mal à contourner la loi pour retrouver Julien ou pour fuir avec lui. Un film qui aborde ainsi les répercussions directes de la guerre sur la sphère familiale et conjugale, qui elle-même se dresse contre les autorités publiques, jugées responsables des circonstances sociales tragiques et insolubles. C’est cette défiance des populations civiles à l’égard de l’hégémonie institutionnelle qui est au cœur du film. Elle est certes enveloppée par la romance automnale et gracieuse qui définit un autre registre de narration.

En outre, le parti pris narratif n’est pas de démêler le vrai du faux, le prosaïque du poétique, mais plutôt de donner à goûter la substance même de la tragédie. Même si Julie s’engage dans un combat pour faire valoir la vérité, Guillaume Bureau nous fait éprouver les conséquences de cet engagement et les situations contre lesquelles il se dresse.

Les comédiens de C’est mon homme sont d’une justesse d’interprétation désarmante, à tel point que l’on éprouve chacun de leur parcours avec la tendresse et la violence qui leur sont propres. Tout communique entre ces visages égarés au creux de différentes réalités. Les décors et costumes dans lesquels ils évoluent définissent une esthétique respectueuse du contexte historique et culturel. Un film complexe et complet, où tous les aspects techniques, narratifs et dramaturgiques sont coordonnés avec une virtuosité sérieuse, humble et efficace.

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