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Copain de Raf et Jan Roosens

Publié le 15/05/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

(En compétition officielle au Festival de Cannes 2015)

En apnée

Avec la boîte de production anversoise Rococo, Raf et Jan Roosens multiplient, depuis quelques années, les clips, les pubs et se lancent de plus en plus fermement dans les courts-métrages. Leur cinéma est donc une affaire de famille et doublement puisque leurs films creusent des douleurs aiguës d'adolescents. Leur premier court-métrage signé à deux a fait le tour des festivals en 2012. Rotkop racontait l'histoire d'un gamin abandonné à lui-même, maltraité dans sa vie sociale, qui devait tout à coup s'inventer des amis pour fêter son anniversaire à l'hôpital où sa mère, atteinte d'un cancer, l'attendait et voulait le voir heureux. Copain, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes cette année, s'empare de nouveau de la double vie douloureuse d'un adolescent.

Copain de Raf et Jan Roosens
Ce petit film efficace scinde en deux la vie d'un jeune garçon. D'un côté, ses deux amis, sa petite copine, souriante et flamboyante. Les vélos, la nage, la joie. Quelques 400 coups innocents. Les corps vivent et s'ébrouent. La caméra court avec eux. Et puis, il y a la longue traversée à vélo dans une aube grise d'un chemin broussailleux. De l'autre côté de ce monde vibrant, une maison belle, plane, immobile, endeuillée d'un frère mort, où ne remue plus que le chien. Les plans sont fixes, larges. Le tic-tac des horloges se superposent au bruit de la cuillère à soupe qui racle l'assiette dans les dîners empesés où l'on joue à aller bien. Un mot de trop dans cet univers du semblant fait jaillir des douleurs écrasantes.

Autour des images des reflets de l'eau ou des vitres, si les univers se brisent en deux et se départagent, ils s'avèrent flottants, toujours sur le point de se rejoindre ou de se décaler. Cette fluidité amplifie la tension de l'inévitable moment du face-à-face, où les deux mondes se rejoignent, où la vérité des situations éclate dans la violence d'un reflet désormais cassé... Tendu et électrique, ce second court-métrage affiche un savoir-faire plastique étonnant. En captant des instants de vie, les frères Roosens installent leur film dans des climats qu'ils opposent avec beaucoup d'efficacité. Sorte de plongée en apnée à la Gus Van San dans les méandres d'une tension sourde, Copain filme avec délicatesse, la douleur d'être à soi. Car peu importe qui est derrière la vitre, dans un reflet, on ne fait jamais face qu'à soi-même... 

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