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En Mis Zapatos de Pedro Morato

Publié le 18/01/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Au croisement de deux générations, le réalisateur Pedro Morato est allé à la rencontre de Francisco Jimenez et Carla Mora. Un danseur de Flamenco redevenu fils avant tout, vivant avec sa mère octogénaire dont le corps et la mémoire flanchent, mais dont le rêve reste intact, celui de fouler les planches et de claquer des pas.

Programmé par le Kinoféroce, le 18/01 à l'IAD, le 25/01 au Kinograph et le 28/01 à l'Aquilone

 

En Mis Zapatos de Pedro Morato

La danse, le mouvement. L'une en est privée par l'âge, l'autre par ses choix. Car Francisco, délibérément, a mis sa carrière prometteuse de côté pour se consacrer à l'aide de sa mère atteinte d'Alzheimer. Une résolution qui peut paraître invraisemblable dans nos sociétés actuelles, où l'humain reste encore trop souvent poussé vers l'individualisme et l'accomplissement de soi. Ici, Francisco a choisi de réaliser celui-ci en donnant vie au rêve inassouvi de sa mère, qui s'imaginait danseuse dans sa jeunesse. Transformer ce fantasme en réalité, pour offrir le plus beau des cadeaux à celle qui l'a fait naître.

Plongeant dans l'intimité de cet étrange duo, Pedro Morato alterne entretiens filmés, scènes de l'intimité quotidienne et préparatifs de la représentation. La grâce et la puissance des mouvements de l'homme filmé en dansant tranche avec l'immobilité et la morosité de la mère dans les premières scènes qui les opposent. Pourtant, cette femme est mobile lorsque laissée seule, pétillante lors de sa fête d'anniversaire, radieuse lors du spectacle. Avec son fils par opposition, elle tremble sans cesse, s'abandonne, dépérit presque. Affres de la vieillesse et de la terreur de l'abandon et de la mort, charriés par la maladie. En résulte une relation difficile, des non-dits et des frustrations, qui se ressentent dans les moments du quotidien capturés par le cinéaste. Des repas aux toilettes, en passant par les nuits entrecoupées de réveils et d'appels déchirants. Pour autant, pas de voyeurisme dans En Mis Zapatos. Malgré cette incursion dans une intimité rarement montrée en salles, Pedro Morato et son chef opérateur Alfonso Helguera restent dans une distance respectueuse, captant cette réalité subtilement par le reflet d'un miroir, dans l'entrebâillement d'une porte, ou dans l'angle d'une pièce pour filmer sans altérer, et mieux comprendre la réalité de cette vie.

Une cohabitation baignée d'amour mais aussi de difficultés et de silences, sur lequel l'œuvre cinématographique tente de mettre des mots par l'entretien, face caméra.

Dans ces instants, libérés du regard de l'autre, les deux protagonistes du récit se livrent sans concessions, laissant échapper leurs émotions au travers de textes poignants. Par la magie du cinéma, ces monologues deviennent dialogues qui dénouent les conflits, résolvent les différences et font ressortir l'amour vrai que se témoignent Francisco et Carla, malgré toutes les difficultés de leur existence. Performativité d'un art filmant lui-même la performance, célébrant la beauté de l'amour et de la vie.

En Mis Zapatos est un film multiple, émouvant autant que beau, qui questionne notre rapport à nos aînés et aux autres, dans un monde individualisé. Une autre vision, une autre approche, un autre monde que nous offre à nouveau l'équipe de Kinoféroce, faisant mouche avec ce deuxième programme.

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