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Entrevue avec Stéfan Liberski

Publié le 01/01/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Cool. Habillé d'un costume noir de la tête au pied, genre clergyman (pour le contraste, sans aucun doute). Les yeux en alerte derrière des lunettes aux montures ovales, Stéfan Liberski boit à petites gorgées un verre d'eau plate. L'après-midi démarre (heu) il réajuste ses lunettes tandis que nous allumons l'enregistreur Sony et que votre serviteur consulte ses notes. On ne va pas davantage vous présenter Stefan Liberski, les fans de Canal+, d'avant J2M, le connaissent bien ainsi que les auditeurs de la RTBF pour les émissions qu'il animait avec son compère Janin. Le monde est plein de surprises et le talent de Stefan Liberski est d'en provoquer davantage encore.

Stéfan Liberski

 

"Mon premier souvenir de cinéma, c'est un western. Si mes souvenirs sont bons, il s'agit de Rio Bravo d'Howard Hawks. Mes parents m'avaient emmené voir ça ; je ne sais plus à quel âge, en tout cas avant 10 ans. C'est drôle car c'était avant les Walt Disney. Le premier film que j'ai vu n'était donc pas un dessin animé, contrairement à la plupart des enfants." Plus tard il découvre Fantasia, qu'il n'aime pas trop ne comprenant pas ce qu'on lui montrait. "Par contre, j'ai un enfant maintenant, je lui ai montré et il a beaucoup aimé ! Je voulais être acteur de cinéma. Mais on m'en a dissuadé, on m'a dit qu'il fallait de toute façon faire des études avant de prendre ce genre de décision folle ! Donc j'ai fait des études de philo romane, mais pas du tout dans l'optique d'enseigner, dans l'optique d'écrire moi-même."  

 

C'est à ce moment-là que Stephan ouvre "Le doux Wazoo", un restaurant où l'on pouvait déguster des crêpes bretonnes. Manière agréable, s'il en est, de gagner sa vie. Mais "le cinéma était mon moteur quand j'étais tout petit, une passion contrariée... J'ai continué à la suivre... J'allais de temps en temps dans des festivals. Je suis allé à Venise, et là j'ai rencontré une assistante de Fellini qui m'a invité à venir à Rome, c'était à l'époque de La Citta delle donne. J'ai vendu les parts que j'avais dans le restaurant, qui était assez rentable. J'ai pu partir et m'installer à Rome. J'assistais au tournage et toutes les phases du film. C'était une expérience fantastique, j'ai vu de près le travail d'un réalisateur que j'admirais. J'ai vu Antonioni juste avant qu'il ne tombe malade. Il avait l'intention de faire un film sur Saint-François. Il revenait d'un voyage au Tibet. Il a eu une sorte de flash mystique ! Ce sont des rencontres qui marquent. » Il reste trois ans là-bas, revient en Belgique, sans le sou. Du coup il devient, pendant près de dix ans copyrighter. «A une époque où la pub, c'était encore un peu rigolo", nous précise-t-il, mais est arrivé un moment où j'en pouvais plus, mais entre-temps j'avais rencontré les gens qui allaient devenir Les Snuls qui a démarré avec Canal + Belgique. Je suis rentré dans cette aventure là. Aux alentours de fin '80, début '90. Depuis le début, avec Janin, on est un peu le noyau dur, on écrit, on monte, ... avec Benoît Delval, qui était le monteur. C'est là qu'il rencontre Bouli Lanners, lequel l'engage à jouer un rôle dans Muno. L'expérience avec Bouli m'a beaucoup plue. Il m'a d'ailleurs dit qu'il voudrait faire un film où je sois comédien. Seulement comédien, que je ne pense à rien d'autre !

 

Ensuite survient la fameuse année charnière, qui est 1998-99, où je me suis retrouvé seul. Janin prenant une année sabbatique. Je dois créer seul une saison, je décide de faire une collection de nouvelles, de 26 min. Ils vont d'ailleurs sortir en DVD sous l'appellation "petits films". Il y en a quelques-uns que j'aime vraiment bien, dont un qui s'appelle "Road Réveillon", dans lequel joue Bouli et Clémentine Célarié. J'ai réalisé 8 courts, pour la télé qui ont été projetés au Nova. Je n'ai jamais eu le temps de m'occuper de leur diffusion dans des festivals. Il y a aussi la série des Jadttoly. C'est moi-même qui me filme. Boomerang Pictures devrait sortir tout ça en DVD : Jadttoly,  Petits films, Microfilms. Ce sont des films entre quelques secondes et quelques minutes, sans aucun souci de format, ce que permet de faire une liaison avec "l'art plastique". Je suis rentré en contact avec Isabelle Molhant de Boomerang Pictures par l'intermédiaire du projet Microfilms car il a reçu une aide du Ministère de la culture pour être mis en DVD. Heureusement car nous avons été victimes des magouilles des K7 VHS. Il y a eu 10 K7 des Snuls qui ont été éditées dont personne, aucun de nous, n'a jamais vu un franc ! Au moins à Boomerang Pictures ce sont des gens sérieux."

 

On vous reparlera de ses DVD lors de leur sortie. Revenons au cinéma avec Bouli Lanners. "Avec Bouli on est très amis, très complices. Il ne m'a pas demandé de but en blanc de jouer dans son prochain film. On se voit beaucoup, on parle beaucoup de nos longs métrages. On a eu tous les deux l'aide à l'écriture, on était ensemble le jour où on l'a appris. On répétait une petite pièce qu'on avait écrite à deux. On attendait les résultats de la Commission, il reçoit un coup de téléphone. Il me regarde, content ; j'avais compris qu'il l'avait. En même temps, il se disait : "si je l'ai, c'est pas possible que lui l'ait". Il raccroche et il me dit : "voilà, je l'ai. Curieux, hein ?". Sans se réjouir. Moi, la même chose, content qu'il l'avait mais me disant que je ne l'aurais pas. Tous les deux des sourires à la Claire Brétecher. Cinq minutes plus tard, mon téléphone sonne. C'est le producteur d'Artémis qui me dit : "tu l'as". C'était très drôle. Ça fait un bon moment que j'écris des longs. J'en ai écrit plusieurs. Il m'a fallu tout ce temps pour me persuader que j'étais capable. Maintenant j'ai hâte de le tourner. Je ne comprends pas les gens qui n'ont pas peur de faire des films. C'est casse-gueule.

 

Dans le film il y a trois thèmes qui se développent : l'ultime plaisir de ceux qui ont tout et de vérifier que les autres ne sont rien ; ressembler à ceux qui ont tout ce qui est devenu l'idéal absolu de l'époque : imaginer qu'on peut s'en détacher, partir ailleurs pour oublier tout ça, n'est plus qu'un rêve d'enfant. Ce sont trois choses qui se tiennent. Bouli a un rôle très important dans le film. On n'a pas le même producteur. Lui c'est Versus, moi c'est Artémis. Tu me demandes mes réalisateurs préférés ? Bonne question (rires). J'aime beaucoup les réalisateurs : Scorsese, Fellini, Antonioni, mais pas qu'eux !? J'aime bien Bruno Dumont, Aki Kaurismaki . En général, je trouve que le cinéma souffre de conformisme, mais je ne sais pas tellement pourquoi... Il y a le conformisme du produit hollywoodien, mais il y a aussi le conformisme du cinéma social où il y a le bon prolétaire... Il y a peu de films qui problématisent les choses. Alors qu'il y a des gens qui se mettent en marginalité complète. Ce n'est pas que ceux-là que j'aime bien. Je prends Bruno Dumont, par exemple, c'est une chance pour le cinéma d'avoir des gens comme ça, qui prennent des risques, qui osent se mettre en marge. Chantal Akerman, c'est aussi quelqu'un qui met son pied dans la porte et qui empêche que la porte du cinéma ne se ferme totalement. Tu me dis que Pierrot le fou est son film fondateur. C'est marrant c'est un film que j'adore, un vrai poème au cinéma."

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