Essential Killing de Jerzy Skolimovski
Pas de sensiblarderie ni de pathétique de douteux aloi à craindre avec Jerzy Skolimowski. Bon dieu, que ça fait plaisir à voir du cinéma intelligent, et sensible (pas sentimental) à force d'intelligence!"écrivait Jean-Louis Bory, dans Le Nouvel Observateur, lors de la sortie de Deep end. Issu, comme Polanski, de la célèbre école de Lodz, Jerzy Skolimowski a suivi le même parcours d'est en ouest. Signes particuliers : néant. Son premier film impressionne. Walkower (1965) découvert dans les festivals européens permet au réalisateur de quitter la Pologne.
Le Départ (1967), est un film réalisé à Bruxelles, dans la Belgique des sixties, par un Skolimowski qui vient de découvrir la capitale de l'Europe grâce à Jacques Ledoux, le fondateur et patron de notre Cinémathèque. Un nouvel horizon pour nous filer un riff jazzy, à partir du rêve éveillé d'un adolescent farfelu (Jean-Pierre Léaud.) Celui-ci se révèle fou de voitures de course et parcourt la rue de la Régence avec, en arrière fond, notre Palais de Justice. Tout cela étant proche, bien sûr, du Musée du cinéma.
Amateur de Jazz et de sport, les nerfs toujours à vif, le réalisateur polonais nous refile ensuite, avec cette fulgurance qui lui appartient, un chef-d'oeuvre,Deep endfilmé à Londres : une éducation sentimentale, très british". Mike, un jeune londonien de quinze ans, travaille dans un établissement de bains et tombe amoureux d'une collègue plus âgée.
Dans la même ville, en 1982, un autre chef-d'oeuvre, toujours avec des petits moyens. Skolimowski réalise Moonlighting (Travail au noir). L'exil et l'oppression via trois maçons polonais travaillant clandestinement avec un contremaître (Jeremy Irons) lequel, tous les jours, les nourrit en volant leur repas dans les supermarchés. Cela, afin de terminer en secret, la maison d'un apparatchik, en plein coeur de Londres. Une blague sur la corruption du pouvoir et les paradis fiscaux dont on ne cesse actuellement de nous parler ? Non, non, le film a été réalisé avant la dérégulation du couple Tatcher/ Reagan mais dans le système soviétique.
Essential Killing est un come-back international de Jerzy Skolimowski. Un long parcours à Londres et en Californie suivi de son retour en Pologne, de l'ouest à l'est (Quatre nuits avec Anna, en 2009). La Californie est le territoire dans lequel Skolimowski était devenu peintre après l'échec de son adaptation de Ferdydurke, livre célèbre de Gombrowicz : un bide commercial que Hollywood ne pardonne jamais lorsqu'elle met de l'argent.
Au début d'Essential Killing, un hélicoptère parcourt un endroit désertique quelque part en Afghanistan, repère un combattant taliban qui, d'une roquette bien ajustée, fait exploser les corps des soldats américains qui le poursuivent. La caméra suit, en crescendo, cette chasse à l'homme sur un rythme frénétique comme un solo de batterie d'Elvin Jones avec une percussion groove de tirs d'un hélicoptère qui rend sourd le taliban. Skolimovski suit l'instinct animal de Mohammed, un homme en fuite, après son évasion d'un camp de la CIA en Europe, que sa surdité et ses douleurs à la tête rendent aphasique et silencieux.
Essential Killig, ce sont des changements chromatiques, les vêtements de Mohammed passent du beige au blanc en passant par l'orange des prisonniers, des paysages solaires d'Asie aux paysages enneigés d'Europe. Transpirant puis tremblant de froid, le guerrier taliban apeuré et souffrant affronte les guerriers occidentaux. Deux mondes, si loins si proches dans la lumière et l'obscurité, dans deux religions issues l'une de l'autre avec la durée d'un tempo de free jazz, dans les longs crescendos de John Coltrane au saxophone.
La grande réussite de Essential Killing est de nous faire aspirer sans respirer avec Mohammed et son double dans deux religions monothéistes qui ne cessent de se bousculer dans des corps à corps effrénés. Mohammed a été inspiré à Skolimowski par John Walker Lindh, un Américain devenu combattant taliban. Un même mythe de la martyrologie unit ces adversaires : souffrir pour les chrétiens, être prêt à mourir pour les islamistes. Vincent Gallo, dans l'incarnation d'un taliban qui revit une passion christique, est époustouflant (surtout lorsqu'on sait qu'il est conservateur et à soutenu la guerre en Irak). Quelques flash-back nous le montrent dans un environnement solaire, plus doux, et en opposition avec l'obscurité des paysages de l'est européen. On le découvre au milieu de sa nouvelle famille en Christ sulpicien, mais avec un regard allumé.
Grand admirateur de Joseph Conrad, polonais et ayant quitté son pays pour l'occident, comme lui Skolimowski a écrit une adaptation de l'un de ses romans, Victoire. Il ne l'a pas encore tourné. On espère voir le film avant qu'il ne se relance dans la peinture californienne.
Essential Killing de Jerzy Skolimovski, édité par Studio-Canal et diffusé par Twin Pics.