Eva reste au placard les nuits de pleine lune de Alex Stockman
Le Bruxellois néerlandophone Alex Stockman avait attiré notre attention, il y a cinq ans, avec un premier long métrage, Le Pressentiment (Verboden te zuchten), riche de promesses et de potentialités mais passé malheureusement inaperçu à sa sortie. Il nous revient avec l'étrange histoire de Michel, jeune homme sensible et intelligent mais affligé d'un handicap moteur qui le rend difforme, quasiment incapable de se déplacer, et le coupe notamment de toute vie amoureuse. Sa seule compagne, c'est Eva, une poupée gonflable qu'il sort du placard lorsque la solitude se fait insupportable. Mais une fois par mois, les nuits de pleine lune, son mal disparaît et, comme d'autres se transforment en loups-garous, Michel devient le jeune homme séduisant et sûr de lui qu'il est à l'intérieur de sa tête. Il rejoint alors son amoureuse, femme de chambre dans un hôtel, pour vivre avec elle, pour une nuit, la vie qu'il ne peut vivre le reste du mois. Et à l'aube, comme Cendrillon, il s'enfuit pour rentrer se terrer chez lui avant que la lune ne disparaisse. Mais la jeune fille commence à se poser des questions sur cet homme qui se prétend diplomate en poste à l'étranger pour justifier ses absences le reste du mois. Et cette fois, au matin, elle le file à son insu.
Adaptée d'une nouvelle inédite de Ivan Alvarez, lui-même gravement handicapé moteur, c'est une histoire bouleversante. On y parle de la solitude, de la profonde injustice du handicap qui enferme un homme dans la différence et le coupe des flux vitaux les plus fondamentaux : le besoin d'aimer et d'être aimé. Alex Stockman nous emmène au fil de ce récit avec toute la pudeur nécessaire, car à sujet délicat, film difficile. Pour traduire avec justesse, sans trop de dureté ni de pathos la profonde douleur que vit Michel, il faut trouver la bonne distance. Pas évident pour le cinéaste qui devra orienter dans cette optique sa direction d'acteur, son montage, le choix des plans, leur enchaînement, leur longueur, jusqu'au placement de sa caméra. Une difficulté dont Alex Stockman se tire avec beaucoup d'habileté et de sensibilité. Ce n'est pas pour rien que le film a été sélectionné en compétition au Festival de Venise. On est touché, ému, et on ne peut qu'encourager le réalisateur à prolonger son film qui, ici, s'arrête de la manière la plus abrupte qui soit. On a en effet l'impression qu'arriver à en faire un long métrage est le véritable but de ce court qui nous abandonne en plein milieu de son histoire. Et on souhaite à Alex et à sa productrice une pleine réussite dans cette voie.