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Extra Ordinary, de Mike Ahern et Enda Loughman

Publié le 22/05/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mauvais esprits

Monitrice d’auto-école dans un paisible patelin irlandais, Rose (Maeve Higgins) est célibataire, douce et attentionnée. Elle est connue dans la région pour son don héréditaire qui lui permet de parler aux fantômes et de libérer ceux qui sont restés coincés sur Terre. Chaque jour, elle est témoin de manifestations de spectres farceurs. Mais tout ceci l’agace. Rose ne se remet pas de la mort accidentelle de son père, célèbre chasseur d’ectoplasmes, décédé sur le terrain à cause d’une incantation qu’elle a maladroitement prononcée.

Depuis, Rose renie ses facultés. Sa messagerie vocale est pourtant remplie d’appels à l’aide concernant des poubelles hantées ou des grille-pains possédés. Mais Rose culpabilise. Elle passe de mornes soirées seule, à manger du yaourt sur un ballon de gymnastique. Sa vie sentimentale est proche de l’encéphalogramme plat. Jusqu’au jour où elle reçoit l’appel désespéré de Martin (Barry Ward), un charmant veuf un peu mollasson, harcelé quotidiennement par le spectre acariâtre de sa mégère d’épouse récemment disparue. Rose et Martin vont finir par tisser des liens et à eux deux, relancer l’industrie d’extermination des spectres ! Who you gonna call ?... Au même moment, non loin de là, Christian Winter (Will Forte), une pop star ringarde connue pour un seul tube qui ne date pas d’hier, tente de renouer avec le succès. Porté sur le satanisme, conscient que le talent et le travail sont des options inenvisageables dans son cas, Winter se tourne vers la solution de facilité la plus évidente : le sacrifice d’une vierge !

En 1988, dans le loufoque High Spirits de Neil Jordan, un propriétaire ruiné, joué par Peter O’Toole, transformait son château irlandais en attraction touristique en faisant jouer les fantômes à ses employés. La supercherie était vite découverte et de véritables fantômes venaient se mêler à l’affaire ! Aujourd’hui en Irlande, les fantômes sont partout ! Ils s’ennuient dans leur « entre-deux » et se promènent dans les rues pour enquiquiner et terroriser les vivants. La comédie de fantômes irlandaise est donc un sous-genre très sélectif puisque, à notre connaissance, Extra Ordinary est au moins le… deuxième long-métrage à aborder cette problématique ! Sorte de joyeux croisement entre S.O.S. Fantômes (référence inévitable de la comédie paranormale), Fantômes contre Fantômes (l’excellent opus oublié de Peter Jackson) et l’esprit décalé des comédies à l’ambiance pavillonnaire d’Edgar Wright (Shaun of the Dead et Hot Fuzz), Extra Ordinary nous est vendu comme une comédie à l’humour typiquement british. Il n’en est rien puisque nous sommes face à une farce potache bien plus proche d’un humour gras à l’américaine (les sous-entendus de nature sexuelle abondent) que de l’absurde raffiné des Monty Python ! Ce qui n’empêche pas le charme d’opérer puisque le film est une (relative) réussite qui provoque régulièrement des fous rires !

Le film puise sa force dans la grande tendresse qu’il porte à une galerie de personnages truculents, rivalisant de niaiserie : Rose, l’anti-héroïne campée par la comédienne de stand-up Maeve Higgins s’avère tout simplement irrésistible. L’actrice est une révélation dans le rôle de cette vieille fille un peu pathétique qui cherche un sens à sa vie et qui va s’affirmer en acceptant pleinement ses drôles de pouvoirs. Quant aux fantômes, ils sont dépeints comme de ridicules emmerdeurs patentés, illustrés par des effets spéciaux conçus entièrement en Belgique chez Umedia VFX ! Mais l’arme secrète d’Extra Ordinary n’est autre que son méchant de service, incarné par un Will Forte en pleine forme. Ceux qui connaissent le comédien américain pour son passage au Saturday Night Live (de 2002 à 2010) et pour ses rares films en vedette (le très culte MacGruber, parodie survitaminée de MacGyver) savent que chacune de ses apparitions au cinéma est un événement. Adepte des personnages d’idiots incurables, pratiquant un humour bête et méchant, ses sketches télévisés étaient souvent les plus surréalistes que l’on pouvait trouver au sein de la célèbre émission. Il ne déçoit pas ici, campant un incorrigible et démoniaque abruti, grand gamin hautain, méprisant, capricieux, mielleux, prêt à fomenter les pires horreurs pour retrouver le podium du Top 50. Sa performance haute en couleur rappelle celle de Ben Stiller dans Dodgeball, une certaine poésie enfantine en plus. Le meilleur gag du film – pompé par un heureux hasard sur Les Fous du Stade de Claude Zidi – le voit se servir d’un balai magique pour lui indiquer la direction de la vierge la plus proche. Un accessoire qu’il utilise en ligne droite plutôt que de prendre la route…

Coproduction déjantée entre le pays de U2 et celui de Sandra Kim, Extra Ordinary était présenté en première européenne et a fait salle comble lors de cette 37e édition du BIFFF. Enorme succès auprès du public, bourré de gags et de dialogues hilarants, enchaînant les clins d’œil aux amateurs du genre, le film a finalement remporté le Corbeau d’Argent, second prix sur le podium.