La quatrième édition du Festival du Film Coréen, organisée par le « Korean Cultural Center » de Bruxelles, situé au 4, Rue de la Régence, s’est tenue du 15 au 23 septembre avec 12 séances (et un concert), réparties entre les cinémas Galeries, Vendôme, le Centre culturel Jacques Franck, Bozar et la Cinémathèque du Luxembourg…
Festival du Film Coréen
Depuis une quinzaine d’années, grâce à des festivals spécialisés comme le BIFFF qui mettent cette cinématographie en valeur, les productions coréennes ont gagné en visibilité et en popularité dans notre pays. Incroyablement diverse (polars, films d’action, films d’horreur, mélodrames, films sociaux, animation, documentaires) mais toujours de qualité supérieure, l’offre en provenance de la péninsule ne cesse de démontrer l’énergie, l’inventivité et le talent exceptionnels dont font preuve les cinéastes-maison, qu’ils soient vétérans (Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Bong Joon-ho et Na Hong-jin, le quatuor de « stars » locales) ou des novices signant des premiers ou deuxièmes films à la qualité tout simplement époustouflante. Grâce à un modèle de production d’une redoutable efficacité (pas de censure, des sujets adultes, une violence décomplexée, des thématiques ambitieuses, une critique franche et saine des institutions et des mœurs du pays), les productions coréennes, grand public et populaires, affolent très régulièrement le box-office local et en remontrent sans aucun mal aux blockbusters hollywoodiens actuels, mais également au cinéma d’auteur de tous horizons !... Petit tour d’horizon de nos coups de cœur :
-The Tiger : An Old Hunter’s Tale (2015, de Park Hoon-Jung) est un blockbuster somptueux qui se déroule en grande partie dans les montagnes enneigées du Mont Sirisan. En 1925, un vieux chasseur (incarné par la star de Oldboy, Choi Min-sik, ici très sobre et sacrément émouvant) se retrouve enrôlé dans l’armée japonaise afin de traquer et d’abattre le tigre monstrueux qui a autrefois décimé sa femme et vient de blesser mortellement son jeune fils. Le monstre en question est une bête mythologique (pourtant bien réelle), vénérée par les coréens qui le surnomment « Mountain Lord » mais dont les japonais, qui veulent conquérir son territoire, ont signé l’arrêt de mort... sans réaliser à quelle force ils avaient affaire ! Personnages complexes, intrigues politiques relatant la différence entre l’âme coréenne et l’envahisseur japonais, nombreuses et très violentes scènes de carnage humain où le tigre, créé en images de synthèse, n’a rien à envier aux effets spéciaux des films hollywoodiens… The Tiger est un film très dense qui évolue dans son second acte lorsque le film épouse le point de vue de l’animal, dont la famille a également été décimée lorsqu’il n’était qu’un « tigrou ». Epique et émouvant (les mouchoirs sont indispensables !), The Tiger est un film qui fera date et dont l’ultime image, funeste mais d’une poésie hallucinante, restera longtemps ancrée dans les mémoires !
-The Liar (2015, de Kim Dong-Myung) est un superbe mélodrame, récit des mésaventures d’une menteuse pathologique nommée Ah-Young (interprétée par la talentueuse Kim Khobi), jeune apprentie esthéticienne sans le sou, vivant dans un appartement insalubre avec sa sœur obèse, alcoolique et sans-emploi. Afin de s’inventer un quotidien plus joyeux, Ah-Young passe son temps à visiter des appartements spacieux et à traîner dans les magasins de luxe, dépensant l’argent qu’elle n’a pas, avant d’annuler les commandes par téléphone. Ayant volé quelques jolies robes, elle se fait passer pour une dame élégante de la haute société et ment comme une arracheuse de dents à chaque individu qu’elle rencontre. Elle se retrouve bientôt piégée par ses propres mensonges lorsqu’elle annonce à ses collègues son mariage avec un riche prétendant. Elle ne côtoie en fait qu’un amoureux souffre-douleur et peu fortuné, qui se saigne aux quatre veines et se ruine pour elle, espérant désespérément l’épouser alors qu’elle le méprise en secret. The Liar est un bel exemple de l’obsession coréenne pour les apparences : physiques, mais également sociales et matérielles. Etre pauvre est vécu comme une véritable calamité, comme un profond déshonneur. Sorte d’équivalent coréen du récent Irréprochable (avec Marina Foïs), entre thriller et étude sociale, The Liar est un film passionnant, au scénario malin, qui en dit long sur l’âme coréenne, encore trop engoncée dans des valeurs immuables. Une fin ambiguë renforce encore la fascination qu’exerce sur nous cette drôle de femme froide, calculatrice, fragile, parfois détestable, mais néanmoins belle et émouvante.
-Le cinéma coréen s’est fait une spécialité des grandes fresques policières relatant le combat de (rares) flics intègres contre la corruption (généralisée) qui gangrène le pays. Cette année, deux polars « scorsesiens » exceptionnels relevaient de cette mouvance : Inside Men (2015, de Woo Min-ho) fut projeté à 23h30 dans sa version longue de 3 heures ! Ce polar virtuose au scénario tarabiscoté relate l’alliance et l’amitié improbables entre un procureur ambitieux et un ancien malfrat (Byung-hun Lee, également sur nos écrans dans le remake des Sept Mercenaires), bien décidés à mettre au grand jour un dangereux nid de vipères : un homme politique influent à deux doigts de gagner les prochaines élections présidentielles et son âme damnée, le directeur du journal le plus influent du pays… en fait deux terrifiants mafieux partouzeurs contrôlant le trafic de drogue et les réseaux de prostitution. Parcouru de scènes d’action explosives, d’une bonne dose de sexe, mais également d’un sentiment de mélancolie très prégnant, Inside Men, rappelant le récent Suburra de l’italien Stefano Sollima par son atmosphère apocalyptique, a explosé le box-office local en novembre 2015…
Dans le même style, mais en plus humoristique, Nameless Gangster : Rules of the Time (2012, de Yoon Jong-bin) raconte l’ascension irrésistible de Choi (Choi Min-sik, encore lui !), un gentil ripou qui devient en quelques années le gangster le plus cocasse et le plus influent du pays. Trop gourmand et orgueilleux, alcoolique, lâche et grossier mais néanmoins très attachant, il met sa vie et sa réputation en danger en s’associant tour à tour avec deux dangereux clans rivaux, les montant l’un contre l’autre à ses risques et périls pour son propre profit. Nameless Gangster est un véritable « Choi Min-sik show », l’acteur-star, qui incarne son personnage de 1983 à 2011, n’ayant pas hésité à prendre 10 kilos pour un rôle complet dont il explore, avec sa bouille inimitable, toutes les facettes.
Citons encore en vrac un joli conte de fée en animation pour enfants, Oseam (2003, de Sung Baek-Yeop), The Throne (2015, de Lee Jun-ik), élégant drame shakespearien en costumes narrant le conflit historique opposant un roi sévère et traditionaliste à son fils, paresseux et inculte, Our Love Story (2015, de Lee Hyun-joo), gentille bluette dans laquelle une jeune artiste tombe pour la première fois amoureuse d’une autre fille au sein d’une société où l’homosexualité féminine est encore mal vue et enfin, un drôle de film resté inédit en Belgique à sa sortie en 2010 : I’m a Cyborg but That’s OK, œuvre mineure du maître Park Chan-wook, loufoque et décalée lorgnant du côté des comédies stylisées de Jean-Pierre Jeunet, dans lequel une jeune fille est persuadée d’être un cyborg et se retrouve internée dans l’asile psychiatrique le plus déjanté au monde ! Trop long, trop dingue, trop « n’importe quoi » I’m a Cyborg… reste néanmoins une curiosité débordant d’idées filles, à (re)découvrir !
Conclusion après ces huit jours de projection ? Avec tant de chefs d’œuvre et de réussites indéniables au compteur, il est permis de s’interroger sur l’absence presque généralisée du cinéma coréen dans nos salles ! Afin de prolonger l’expérience de ce festival modeste (peu de moyens, beaucoup de bonne volonté !) qui s’est déroulé dans la bonne humeur (notamment lorsque son sous-directeur et présentateur, le sympathique Chung Haetal a entonné de son impressionnante voix de ténor le tube « You’ve Got a Friend » de Carole King sous un tonnerre d’applaudissements), il est fortement conseillé d’assister tous les vendredis soirs aux « Korean Film Fridays » qui se déroulent au Centre Culturel Coréen en vous inscrivant et en réservant votre place au préalable sur la newsletter de leur page Facebook (https://www.facebook.com/koreanculturalcenterbrussels).