Le Bunker Ciné-Théâtre de Patrice Bauduinet (PBC Pictures) vend des poignées de gravats pour subsister, mais offre mieux à boire et à manger. Fin mars dernier, dans l'arrière-salle froide et humide où l'on se verrait bien rejouer quelques scènes d'une anthologie underground, le goguenard réalisateur d'Amphitryon 94 ou de Fais-moi coin coin (1993), producteur aux moyens sans doute minuscules mais aux idées aussi larges que les pulls de laine, avait convié ses amis à la projection - tant bien que mal - de Fragments de vie, un long métrage belgo-camerounais, divisé en trois parties, de François L. Woukoache. Grisants, les cocktails rhum gingembre de la famille du réalisateur se mariaient très bien au champagne qui arrosa ensuite à huis clos les dix ans de la " petite boîte ". Un cocktail explosif !
Fragments de vie de François L. Woukoache
Chronique autour d'une ville imaginaire d'Afrique équatoriale Une journée comme les autres commence pleine d'espoir : cette fois, Petit-Jean devrait le dégoter, ce boulot qu'il espère depuis la fin de ses études. Peut-être même a-t-il trouvé l'amour, dont un regard d'ange suffit à faire la promesse dans le bus qui traverse la ville.
Mais si les murs du centre de Yaoundé, capitale vallonnée du Cameroun, se couvrent d'affiches de cinéma américain, la nuit venue, la caméra traverse le miroir, le hasch et le vaudou enivrent les coeurs des laissés-pour-compte et le plus honnête des hommes se laisse entraîner dans une sale petite combine. Evidemment, le vol tourne mal...
Les sirènes de police n'ont hélas ! rien d'un Murmure dans la nuit, même si Monsieur le commissaire est le plus " fidèle " client du boui-boui forcément toléré où l'attend ce soir une nouvelle et très jolie jeune fille. D'où sort-elle ? Pourquoi tient-elle tant à être la prochaine ? Habituée sans doute à venir en aide à de pauvres orphelines, la mère maquerelle, ravie, ne pose aucune question. Si elle sait comment la femme tient l'homme par l'estomac, comment pourrait-elle par contre expliquer aux inspecteurs sans visage la présence, à l'aube, au pied du lit, du cadavre du haut fonctionnaire dont les crimes commis depuis dix ou vingt ans ne pouvaient rester impunis ? La vengeance est un plat qui se mange froid, et l'amour est un souvenir qui plane comme l'Ombre d'un baiser et qui revient parfois, hagard et brisé, sur les trottoirs bondés des quartiers chauds. Une fois encore, des femmes parlent : cette vie-là est préférable, ou la seule possible, depuis que les maris et pères ont disparu sans laisser de traces, peut-être partis pour des rêves d'Occident, peut-être morts pour de vieilles valeurs.
D'un volet à l'autre, le triptyque Fragments de vie promène ses personnages inspirés de rencontres réelles dans une Afrique en crise, entre passé et présent, dont les femmes sans doute détiennent la clé. D'ailleurs, si la caméra de François L. Woukoache, enfant du pays revenu de l'Insas, imite parfois le documentaire, c'est pour tourner autour d'une prêtresse vaudou ou s'arrêter en face de prostituées qui, innocentes et victimes, ne peuvent biaiser...
À voir, sûrement, du même réalisateur, Nous ne sommes plus morts, documentaire en Beta SP sur l'après-génocide au Rwanda.