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Godard, Godard, Godard

Publié le 05/03/2010 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
Godard, Godard, Godard

« Il y a la règle et il y a l'exception. Il y a la culture qui est la règle, et il y a l'exception qui est l'art. Tous disent la règle, personne ne dit l'exception » JLG,, Je vous salue Sarajevo.

Quatre DVD dans un coffret édité par Montparnasse de Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard. Le premier (125 minutes) a été projeté dans les salles parisiennes. En réalité, une série de 7 films co-produits par Le Fresnoy (le studio national des Arts contemporains) et tournés par Alain Fleischer, son directeur, avec des interlocuteurs que Godard a choisi (André S. Labarthe, Jean-Marie Straub, Danielle Huilliet, Jean Narboni, Dominique Païni). C'est le premier CD.Pour les trois autres (la série vidéoconférences, grâce à un système de relation Internet haut débit, entre Rolle en Suisse et Le Fresnoy, en France) avec Jean Douchet, Nicole Brenez, Jean-Michel Frodon, Jean-Claude Conessa, Narboni, Païni). En un mot, comme en cent, avec sa famille des Cahiers du Cinéma et non comme certains l'ont écrit, avec sa cour.
En avril 2006, il prépare Collag(e) de France en réponse au refus du Collège de France d'offrir des cours de critique de cinéma. Projet refusé pour quelles raisons ? Est-ce à cause de ce genre de phrases, prononcées par Juliet Berto, dans Le Gai savoir (1968) : « Comment j'ai déshabillé les dirigeants du journal télévisé mondial sur l'ordre du fantôme d'Antonin Artaud et que je les ai fait enculer par les ministres de la déformation puisqu'ils aiment ça ». Allez savoir, avec le retour de la réaction, en France il est permis d'imaginer bien des variations.

CD1

Destinée à remplacer le Collège de France, l'exposition au centre Pompidou, après maintes aventures discordantes, finit par être exposée et déployée dans les espaces du musée en prenant une autre forme et se nomme : Voyage(s) en Utopie, JLG 1946-2006, à la recherche d'un théorème perdu.
Déambulant dans les salles de Beaubourg, Godard nous présente les ruines d'un projet inabouti, réduit à des maquettes en carton, disséminées dans les salles. Il en profite pour parler d'un autre projet inabouti, dans sa jeunesse, lui qui désirait devenir mathématicien en arrivant à Paris. Ville-clé pour deux mathématiciens prodigues, Evariste Gallois (la théorie des nombres) et Niels Abel (le nombre algébrique et les fonctions elliptiques), tous deux ignorés de la communauté scientifique de l'époque (comme Godard par le Collège de France) et bien que morts jeunes, célèbres un siècle plus tard. Godard se sent-il condamné à archiver l'Histoire du cinéma, seul à Rolle, insulaire devenu ?
Outre son intérêt pour les dispositifs d'installation auxquels il préfère un simple documentaire plutôt que cette fuite de la réalité, Jean-Luc Godard nous dit qu’à l'époque où la machine à écrire a été inventée, elle était destinée aux aveugles. Et d'ajouter : « Je me demande si les ordinateurs ne sont pas faits pour les aveugles... Ce n'est pas grave, puisqu'il s'agit de voir ce que l'on ne voit pas. Dans mes films, je mélange les voyants et les aveugles. Les bons moments sont aveugles. Mon dernier film à Sarajevo est aveugle ».
Et d'ajouter que les films de l'époque de la Nouvelle Vague « étaient la première fois. Et aujourd'hui, avec l'âge, j'ai le sentiment que cette dernière fois équivaut à la première fois ».

CD2, 3 et 4


Le problème de Godard (son amertume ?) est d'avoir été compris trop tard. Avoir raison trop tôt ne sert pas à grand-chose, et peut-être même à rien. Lors de sa sortie, en 1966, personne n'a compris Pierrot le fou. En 2010, il est devenu l'une des cartes postales des sixties, comme les fesses de Brigitte Bardot dans Le Mépris. Avec Prénom Carmen, il a surpris son public avec un film dans lequel il gesticule dans un hospice, de même que son ami Jean-Pierre Mocky, plus caractériel que jamais. Mais surtout, une scène a choqué à l'époque : la masturbation de Bonnafé dans la douche sur Maruschka Detmers.
Surnommé l'empereur de la confusion par les adversaires de la Nouvelle Vague, dont l'académisme et l'incompétence ont trouvé un nouvel élan dans le formatage et le visuel de la post-modernité, Jean-Luc Godard poursuit ses provocations, en rebelle non reconverti à la fin de l'Histoire.
Ce cinéaste du deuil, des vestiges et des ruines, est interrogé par Jean Narboni sur le lien entre Allemagne neuf zéro, Eloge de l'amour et Notre musique, trois films sur la fin d'un monde (et non du seul cinéma). Allemagne neuf zéro nous parle du Spy Lemmy Caution (sorti tout droit d'Alphaville) à la recherche d'une pensée devenue bancale dans un monde frappé d'amnésie ou tout se brade n'importe comment dans une dérégulation effrénée (le film date de 1991 et non de 2008).
Dominique Païni s'empare du côté burlesque de JLG. Les Carabiniers est un burlesque sur la guerre. Les Carabiniers, farce ubuesque, fût désigné par la critique, en 1962, comme une « farce pitoyable ». En 2010, dans un monde où la guerre circule derrière deux visages : le hard power des canons et le soft power du visuel des images, il est permis d’en douter.
Pierrot le fou (Ferdinand dit Pierrot) est un fou (comme tous les poètes.) Et dans Soigne ta droite, le réalisateur nous montre un idiot (qu'il interprète), le prince Mouchkine en référence à L'Idiot de Dostoïevski.
André Sylvain Labarthe nous parle du temps qui, pour lui, fait son apparition dans le cinéma avec l'Aventura d'Antonioni. Un temps que le cinéma cherchait à éviter (la lenteur de la fin d'un plan avant le passage à un autre plan), lui préférant le mouvement (Hitchcock, par exemple). Le moment du passage du classicisme à la modernité (le temps), comme l'ont souligné les critiques de cinéma.
Enfin, le meilleur, le dialogue qui s'installe avec Jean Douchet sur la période la moins connue de JLG, tout d'abord celle de Vent d'Est avec Jean-Pierre Gorin et l'actuel député européen Daniel Cohn-Bendit. Une période que le réalisateur semble botter en touche malicieusement, autrement dit sans coq-à-l'âne, son sport favori avec le tennis.
Andante : sa défense d'Eisenstein et Vertov dont la mise en scène dominait le scénario.
Pianissimo : sur le rôle de la critique. Passer de l'analyse à celui de délégué syndical du cinéma.
Allegro : dialectique hégélienne. Je doute (Montaigne), Je sais (Descartes) et Je crois (Pascal). Le scénario étant le « je sais », devinez le reste.
Allegrissimo : l'espace et le temps. Alzheimer, le temps et le contretemps sans enchaînement.
On vous laisse découvrir la suite.

Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard d'Alain Fleisher, éditions Montparnasse, coffret de 4 DVD diffusé par Twin Pics.