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Hans Herbots et Pierre Gervais, pour Ceci n'est pas un crime (This Is Not a Murder Mystery)

Publié le 02/12/2025 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Ceci n’est pas un biopic : Magritte face au mystère

Enquête, atmosphère et surréalisme : Ceci n’est pas un crime (This Is Not a Murder Mystery) ose un mélange rare dans la fiction belge. Tournée entre la Belgique et l'Irlande, la série dévoile un Magritte jeune, fragile et étonnamment humain. Déjà saluée en festivals et en Flandre, elle arrive sur RTL, portée par la révélation d’un acteur bruxellois de 32 ans, Pierre Gervais.
Succès public en Flandre, mention spéciale au Prix Europa à Berlin – l’un des principaux prix européens dédiés aux meilleures séries et productions télévisuelles – présenté en avant-première au Festival de Gand… Ceci n’est pas un crime débarque ce mercredi sur RTL TVI en prime time. Articulée en six épisodes d’une cinquantaine de minutes, la série, déjà disponible sur la plateforme RTL Play, s'apprête donc à toucher le grand public.

Tournée entre chez nous et l'Eire, la fiction revisite Magritte à travers un récit policier d’époque, où l'on découvre le peintre belge encore jeune. Hans Herbots, réalisateur anversois qui s'est illustré à l'international avec des séries comme Cobra, Riviera ou Le Serpent (Netflix), nous a confié avoir été séduit par cette lecture inédite : “On devait oublier l’icône pour se concentrer sur l'homme, qui n’était pas un personnage flamboyant. Sa force vient en fait - et surtout - de sa retenue.” 

Une série d'atmosphère

L’histoire nous ramène en 1936, dans un vaste domaine anglais où une poignée d’artistes, de mécènes et d’excentriques de passage se retrouvent pour un événement mondain qui va mal tourner. Alors qu’on pourrait s’attendre à un récit centré sur la recherche du coupable, la série s’en écarte assez vite, portée par un climat tendu. Parmi les invités, on croise Salvador Dalí, Man Ray, Lee Miller, Max Ernst ou encore Gala Dalí, sans jamais tomber dans la caricature ni dans une reconstitution trop appuyée. Le surréalisme affleure par petites touches. Herbots résume : "On n’avait pas envie de le souligner. Le courant déambule naturellement, subtilement, tout au long du récit." 

Un projet pensé pour voyager

L’écriture a été confiée à Christophe Dirickx (La Merditude des choses) et Paul Baeten Gronda (Two Summers), d’après une idée de Dirickx lui-même et de Matthias Lebeer, réalisateur issu de la publicité et co-signataire d’un épisode. Le projet est porté par Panenka, à l’origine de la série Putain et de formats télé populaires en Flandre. Dès le départ, les ambitions étaient internationales : si cette société anversoise pilote la production belge, un partenaire irlandais (Deadpan Pictures) est de l’aventure, ainsi que, chez nous, le Tax Shelter, Scope Pictures, Screen Flanders, Screen Brussels, Proximus — qui a diffusé la série sur Pickx+ — et RTL, entre autres. Studiocanal assure la vente internationale.

Le tournage irlandais découle d’une contrainte : le Brexit compliquant l’accès aux financements européens, l’équipe a exploré d’autres pistes jusqu’à découvrir le Curraghmore Estate, un immense domaine adopté d’emblée. "Quand on est entrés dans ce château, on a compris que le lieu racontait déjà quelque chose. Il était à la fois majestueux et étrange."

Concernant les décors belges, on épinglera le Jardin botanique de Meise, le château d’Egmont à Zottegem, la Maison Autrique, la Villa Empain (...). "On tournait une première moitié d’une scène dans un pays, la suite dans l'autre", sourit Pierre Gervais. L’équipe vivait ensemble dans un village voisin, de quoi forger une certaine dynamique. "Quand tout le monde est loin de chez soi, on forme une troupe. Cette confiance circule alors entre les acteurs, et cela se ressent dans la fluidité des scènes de groupe.", remarque Herbots. 

Pierre Gervais, la révélation

La série révèle un comédien belge au grand public : Pierre Gervais. Bruxellois, issu d’un mélange familial entre Mons et la Flandre, il est passé par l’INSAS. Hans Herbots se souvient du casting : “Pierre a une présence à l'écran peu commune. Il est intense, sans jamais rien forcer.” Déjà remarqué dans Julie se tait et 1985, où il incarnait Patrick Haemers, ce comédien très actif au théâtre a depuis enchaîné quelques rôles marquants, notamment dans la série The Twelve. Il avoue avoir ici affronté un tournage exigeant: “Je devais être prêt tous les matins, en évitant de sortir avec le reste de l'équipe. Je l’ai vraiment vécu comme un marathon.”

Troisième langue pour lui, l'anglais a façonné son jeu : “On a conservé mes petites hésitations. Ça donnait quelque chose d'authentique, de vulnérable. Magritte n’est pas encore celui que tout le monde connaît.” L'un de ses souvenirs les plus forts reste une scène tournée sur les toits du château : “C’était le dernier jour de l’Irlande, ou l’avant-dernier. On était en équipe réduite, à neuf ou dix, parce qu’on ne pouvait pas tous monter pour les assurances. Le soleil se couchait. On était assis sur ce toit, à attendre la lumière. J’ai alors eu un échange avec le Détective Thisletwaite — alias Stephen Tompkinson, qui est un immense acteur en Angleterre. C'était pour moi un moment hors du temps, où j'ai ressenti que la fiction et la réalité se mélangeaient.”

L’acteur a aussi apporté une idée qui n’était pas dans le scénario : une petite “passation de chapeau” imaginée sur le plateau. Un autre personnage lui tend son couvre-chef. "Je me suis dit : pourquoi il ne filerait pas le chapeau ?", sourit-il. Un détail improvisé qui marque le moment où son Magritte commence à devenir celui que l’on connaît : celui du chapeau melon.

Gervais vient de terminer le tournage du Faux Soir, de Michaël Roskam — un rêve de longue date : “J'incarne un résistant. C’est fou pour moi de travailler avec lui. Et tourner à Bruxelles dans des lieux exceptionnels, recréés comme à l’époque, c’est magique.”  Il ressent que cette période marque un tournant pour lui : “C’est une chance d'enchaîner de si beaux projets.” dit encore celui qui, pour se remettre de ses cinq mois de tournage, s'est replongé dans la nature. "Dans ce genre de situations, c'est toujours elle qui nous sauve", sourit-il. 

Un casting belge et international

Autour de Pierre Gervais, Ceci n’est pas un crime s’appuie sur Geert Van Rampelberg (The Broken Circle Breakdown), Lauren Versnick (BXL) et deux figures francophones : Regina Bikkinina (Into The Night), qui offre à Gala Dalí une aura magnétique, et la Française Mathilde Warnier (Le Serpent), incarnant Georgette Magritte. Tout autour gravitent plusieurs interprètes étrangers aguerris, renforçant l’identité européenne du projet. Hans Herbots revendique cet équilibre : “Chaque comédien apporte son univers, sa personnalité. Comme dans un puzzle, il faut alors trouver des énergies qui, ensemble, puissent fonctionner de la manière la plus organique.”

Signée David Williamson (déjà à l’œuvre sur Le Ciel Flamand), l’image alterne entre une colorimétrie rayonnante et des tons sobres, offrant à la série une atmosphère à part. Il est épaulé par Maxim Honoré (Kursk).

Un signal fort pour RTL

Après son très bon accueil en Flandre, où sa programmation sur la VRT a réuni environ un million de spectateurs au total — linéaire et streaming confondus —, sa diffusion francophone intervient alors que RTL Belgium affine sa stratégie en matière de création locale, avec plusieurs séries en préproduction ou en développement : Legat, Haemers, Antarctica, Turbulences ou encore Les Mains invisibles. Une façon pour la chaîne d'affirmer un ADN sériel belge qui va continuer à croître, en restant complémentaire aux projets de la RTBF.

Hans Herbots se réjouit : “C’est la première fois qu’un diffuseur francophone s’engage aussi clairement sur l’un de mes projets.” Le réalisateur prépare déjà la suite de sa carrière (longs-métrages belges, nouvelle série européenne, nouvelle collaboration britannique). Une saison 2 de Ceci n'est pas un crime n’est pas exclue. L’équipe se dit ouverte à l’idée d’explorer une nouvelle enquête, voire un autre artiste dans un autre pays, tant que l’esprit reste le même : “L’univers pourrait tout à fait se déployer”, glisse Herbots. 

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