Avec quatre longs métrages à son actif, Geoffrey Enthoven est l’un des enfants chéris du cinéma d’auteur flamand. Son nouveau long métrage, Hasta la vista !, inspiré d’une histoire vraie, le confirme. Revenu du Festival de Montréal avec plein de prix dans sa besace et de nombreuses promesses de distribution sur les cinq continents, sans parler de possibles remakes anglophones, le film a démarré sa carrière en salles sur les chapeaux de roues. Et pourtant, son sujet aurait plutôt dû faire fuir plus d’un spectateur sain de corps et d’esprit… À vous de jugez…
Hasta la vista ! de Geoffrey Enthoven
Imaginez un peu : trois potes décident de partir en vadrouille à travers la France pour rejoindre l’Espagne où ils souhaitent aller faire une petite virée dans un bordel très fameux. Déjà là, on grince des dents. Mais voilà qu’en plus de tout ça, les trois potes en question sont des jeunes et moins jeunes gens, tous vraiment handicapés : l’un est bien aveugle, le second ne peut plus que parler et bouger les doigts de ses mains, le troisième, gravement malade, est cloué à sa chaise roulante. On pouvait craindre le pire, non ?
Alors ? Quid de ce succès ? D’abord, le film doit beaucoup à ses trois comédiens professionnels (Robrecht Vanden Thoren, Gilles De Schryver et Tom Audenaert) exceptionnels. Il doit ensuite au vrai sens de la comédie populaire, efficace, qu’Enthoven cultive depuis ses débuts.Partant de personnages atypiques que leur quotidien étouffe – et quand on est tétraplégique, il y a de quoi étouffer, non ? - , Enthoven déploie des ficelles scénaristiques ingénieuses et bien huilées. Road movie bringuebalant, les trois garçons s’échappent de chez eux quand leurs parents mettent un veto à ce projet maquillé en tournée des vignobles français, après que la maladie de l’un des leurs se soit aggravée. Qu’à cela ne tienne ! Embarqués par une ex-infirmière dont le corps (elle est obèse), lui aussi, fait question et la présence problème, les voilà partis vers l’Espagne en catimini. À travers ses trois actes, le départ et ses préparatifs, le voyage, puis l’arrivée et ses dénouements, le film déploie le voyage initiatique entre crises, remises en questions et résolutions. Ici, comme dans ses précédents films, ces trois copains vont repousser leurs limites et les préjugés de leurs proches dont l’amour est encore une fois étouffant pour se dépasser eux-mêmes, s’affirmer et tendre vers leurs désirs. Et le dénouement permettra finalement à chacun d’entre eux de réaliser son rêve, de faire aboutir ou advenir un autre chemin que celui tout tracé que leur assignait leur condition.
Si le voyage en question souffre de temps morts et, par moments, de ficelles scénaristiques un peu poussives et creuses, Hasta la vista !, réalisé caméra à l’épaule, en steadycam, devient finalement un « buddy movie ». Toujours très proche de ses personnages, du groupe qu’ils forment, le film réussit à faire oublier peu à peu leurs handicaps, déplaçant les enjeux intimes de ce voyage un peu à côté des limites physiques. Et avec beaucoup d’honnêteté, le film ne tente pas d’échapper à tout prix à une vraie noirceur qu’il teinte d’autodérisions, d’humours doux-amers et de blagues potaches. Mais au final, plus que tout, ce qui fait sans doute la réussite de ce film, c’est qu’il ne boude pas son plaisir, qu’il s’amuse des situations qu’il met en place, se fait plaisir à quelques séquences absurdes ou irréalistes, joue les scènes types des réunions de familles ou des bordels en demi-teinte, en toute honnêteté et affronte son sujet pas facile, avec agilité et humour. Pas mal, quand même, non ?!