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Hélène Cases de Why Not Productions

Publié le 13/07/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Depuis 1991, Why Not Productions (Paris) est connue et reconnue pour avoir soutenu des films de cinéastes justes et pointus comme Arnaud Desplechin, Philippe Garrel, Bruno Podalydès, Xavier Beauvois, Claude Lanzmann, Jean-Luc Godard, Jean-François Richet, Jacques Audiard,… . Dix ans plus tard, ce lien avec les auteurs ne passait plus seulement par la production puisque Why Not a commencé à co-éditer, avec Les Cahiers du Cinéma, certains de ses films mais aussi ceux d’autres catalogues. Aujourd’hui, la collection compte 17 titres français et étrangers et poursuit sa mission cinéphilique : offrir aux films une deuxième chance. Entretien avec Hélène Cases, responsable de l'édition DVD chez Why Not et productrice.

 

Hélène Cases de Why Not Productions

C. : Parallèlement à la production, vous vous êtes lancés en 2001 dans l’édition de DVD en partenariat avec Les Cahiers du Cinéma. Comment est apparue la collection «  Deux films de... » ?
H.C. : Le souci de Pascal Caucheteux était de faire exister et d’entretenir la cinéphilie en créant un lien particulier avec les auteurs. Du temps des débuts de la Cinémathèque avec Henri Langlois ou de la Nouvelle Vague, la cinéphilie existait grâce à l'idée du lien et de la proximité avec les auteurs. L’idée de la collection a donc été de soutenir, modestement et dans la mesure de nos moyens, le travail des auteurs. Comment mieux raconter ce qu’est un auteur qu'en montrant ses films? La réflexion, l’analyse sont enrichies en montrant deux films d’un même réalisateur : le spectateur peut vraiment commencer à mettre en perspective un travail. D’où le concept de la collection « Deux films de... ».

Simultanément, une amitié, une filiation de goût nous liait avec Les Cahiers du Cinéma. Ils ont souvent soutenu les films produits par Why Not Productions. Ils organisent un ciné-club régulier au Cinéma du Panthéon, à Paris, qui est la salle gérée par Why Not. L'idée d'une collection DVD en co-édition d'elle-même. Les premiers DVD (Garrel, Desplechin, Beauvois, Lanzmann) sont sortis en 2001 et leur distribution continue à côté des titres récemment sortis. On a envie que cette collection existe et qu’elle se développe. On ne revendique pas du tout une existence planétaire mais on a envie de travailler sur la longueur en soutenant un catalogue.

De la même façon, la salle de cinéma du Panthéon reprend une partie de cette idée. On y organise un ciné-club régulier et on soutient une programmation plutôt délicate et pointue, en essayant de travailler dans la longueur. Si un auteur fait un bide, peut-être que trois films plus tard, le succès critique et public sera là. On aura cru dans son talent.

C. : Il s’agit en quelque sorte, avec les DVD, d’offrir aux films une deuxième opportunité au cas où le public les aurait ratés en salle faute de temps ou à cause de leur apparence trop pointue?
H.C. : C’est exactement ça! On veut faire exister des films qui n'existent plus dans ce marché de consommation qu'est devenu le cinéma. Faire ressortir des films qui ont été mal vus à leur sortie, des films qu'on aime et qui ont également été choisis par Les Cahiers. Ça procède aussi par opportunité bien entendu. Si on pouvait avoir tous les films d'Antonioni et de Rossellini, on les sortirait. Nous nous y attelons mais c'est compliqué. Vu que notre catalogue de producteur nous est facilement accessible, nous procédons naturellement à leur édition.

C. : Editez-vous tous les films que vous produisez ?
H.C. : Non. Pour un certain nombre de titres, les droits ont déjà été vendus au moment du financement du film. Aujourd'hui, les distributeurs achètent en général les droits vidéo. Par exemple, UGC détient ceux de deux films de Bruno Podalydès qu'on a produits, Le Mystère de la Chambre jaune et Le Parfum de la dame en noir. Par contre, on a sorti un DVD avec deux autres de ses films, Dieu seul me voit et Liberté Oléron dont on n'avait pas les droits. On les a récupérés via le Studio Canal qui nous avait aussi cédés ceux d’Esther Kahn [Desplechin].Certains majors ont des catalogues magnifiques et sont totalement fermés à toute négociation, mais il y a aussi des partenaires ouverts comme le Studio Canal par exemple, qui préfèrent que les films soient vus avant tout. Exactement comme nous en fait ... Ils ont un catalogue énorme mais ont l'intelligence d'accepter d'éditer chez nous des titres de façon plus minimaliste qu'eux. En plus, comme on travaille de façon non exclusive la plupart du temps, ils peuvent sortir un titre d'une toute autre façon : seul en unitaire dans une certaine collection ou à prix réduit à Noël. D'ailleurs, le public qui fait ses achats à la FNAC n'est pas forcément le même que celui qui les fait sur Internet. La grande différence, c’est que Why Not ne vit pas grâce aux DVD. C’est pour ça que cette collection existe et est pérenne.

C. : Pour faire connaître ces auteurs auxquels vous croyez, ne serait-ce pas intéressant de ressortir leurs courts métrages? Pourquoi ne pas avoir inséré par exemple Voilà ou même Versailles, rive gauche sur le DVD consacré à Podalydès afin de proposer une continuité? Etait-ce dû à une question de droits?
H.C. : En fait, Bruno possède les droits de ces deux films. Il a choisi de les sortir lui-même via une autre boîte. Pour lui, ce sont des films à part entière et pas des bonus. Si nous avions pu sortir Versailles, rive gauche et Voilà, ça aurait constitué un autre DVD car le premier titre est sorti en salle.

Pour nous, un film, court ou long, c'est un film. Au départ, on avait choisi de mettre deux films sur les DVD mais des exceptions peuvent se présenter. Si demain, on nous propose un court métrage inédit, on ne le refusera pas. Il se fait qu'on va justement le faire pour le prochain DVD lié à Godard : il nous a donné deux petits films qui s’appellent Prières pour refusniks [2004 : 7’ et 3’30’’].

C. : À côté des Français, on constate l’apparition de réalisateurs étrangers dans la collection (Akerman, Loach, Kitano et Panahi). Est-ce un choix artistique ?
H.C. : Tout à fait. On essaye de s’ouvrir au maximum sur l’étranger. On aimerait avoir plus de titres de l’étranger mais il y a des problèmes de droits plus compliqués. Des projets sont en cours sur les films de Hou Hsiao Hsien et de Makhmalbaf. On aimerait bien, entre autres, sortir également ceux de Moretti et d’Apichatpong Werasethakul.

C. : Le principe de la collection est de se limiter à deux titres par réalisateur. Comment s’envisage dès lors la sélection ? Via les premiers films ou les plus significatifs ?
H.C. : Ça dépend. La sélection se fait d’abord avec Jean-Michel Frodon, directeur de la rédaction des Cahiers et il faut aussi que ce soit des films qu’on puisse sortir. C’est une pure question de goût et de droits.

C. : Vous revendiquez donc une certaine forme de subjectivité ?
H.C. : Tout à fait. Parfois, il y a des auteurs qui nous plaisent et que Jean-Michel Frodon n’aime pas et ça ne sortira jamais dans la collection « Deux films de... ».

C. : Question pratique : comment mettez-vous en évidence la collection ?
H.C. : Il y a deux ans, on a repris la distribution de la collection et on est très contents de cette formule. De toute façon, à Why Not, on a toujours fonctionné de façon artisanale. On distribue donc désormais nous-mêmes les DVD à travers un réseau de vente qu’on a mis en place et qui passe par la grande distribution spécialisée dans les produits culturels, un certain nombre de librairies et d'institutionnels comme la Cinémathèque. La vente aux particuliers s'est également développée : on peut aussi télécharger les bons de commande sur le site des Cahiers de Cinéma et depuis une semaine, la vente par correspondance fonctionne sur notre site! Depuis le premier titre, le catalogue est sans cesse renouvelé. On est à 17 titres, bientôt 19. On vient de conclure un partenariat important avec France Inter pour les titres à venir : les spots annonçant les prochains films de Amalric et de Kitano sont déjà diffusés sur antenne. Début novembre prochain, on sortira deux films de Godard, Eloge de l’amour et Notre musique et deux films de Franju, Judex et Nuits rouges.

C. : Généralement, les éditeurs de DVD sont extrêmement attentifs aux bonus (making-of, scènes coupées, entretiens, filmographies, bandes-annonces, …). Comment se fait-il que vous n’ayez pas développé un tel soutien éditorial à l’égard de votre catalogue pointu et difficile d’accès ?
H.C. : Pascal Caucheteux n’a pas un goût prononcé pour les bonus. Dès le départ, il a souhaité que leur existence soit très limitée. Au début, notre slogan était : « le bonus, c’est le deuxième film. » L’idée était de défendre un film par l’autre et non par des bonus qui servent, en général, à expliquer, à lever le mystère en allant voir ce qu’il y a derrière. On a effectivement horreur de ce qui est intrusif, de ce qui montre les coulisses de la fabrication, comme les making-of. Par contre, offrir deux films pour le prix d’un, avec un beau travail éditorial des Cahiers sous la forme d’un livret inclus, nous semble un choix plus fort.

C. : Effectivement, les DVD sont abordés autrement. Certains sont illustrés d’un entretien filmé exclusif et/ou d’autres suppléments mais tous sont accompagnés d’une partie Rom qui offre la lecture d’articles liés aux films, parus à l’époque dans les Cahiers. C’est une démarche assez rare et intéressante car elle offre aussi une seconde vie à des textes qui ne sont plus dans l’actualité.
H.G. : En effet, on trouvait intéressant et logique d’ajouter des articles dans la collection Cahiers du Cinéma. C’est important que cette revue puisse faire exister ses articles. Et lorsque il y a des « suppléments », ils se font sous leur direction éditoriale.

Après, effectivement, c’est passionnant d’entendre Arnaud Desplechin parler de sa conception du scénario et de la naissance de ses idées sur le supplément DVD La Sentinelle et La vie des morts. On apprend beaucoup et sans doute, on peut regarder ses films avec un œil plus avisé par la suite. C’est vrai que quand on arrive à avoir des interviews de réalisateurs, c’est plus intéressant. Quand on a sorti le DVD de Panahi, on avait la chance d’avoir déjà un entretien fait par Frodon. Idem pour Ken Loach. Par contre, Philippe Garrel est vraiment hostile à toute forme d’interview. Comme on ne peut pas l’interviewer, nous sommes allés voir son actrice, Mireille Perier et sa directrice de photographie, Caroline Champetier.

C. : Garrel est un cinéaste intéressant à épingler. Ses films ne sont pas spécialement vus en salle et édités en DVD. Why Not, par contre, a sorti six de ses films (3 DVD). Au-delà de la fidélité d’une équipe de production et d’une rédaction, qu’est-ce qui explique ce choix dans la continuité ?
H.C. : Ce n’est pas un cas à part. Là, on va sortir un Godard, ce sera le troisième. Et lui, ce n’est pas du tout un auteur maison puisque nous n’avons produit aucun de ses films mais nous l’aimons et il est soutenu par les Cahiers. Garrel, contre toute attente, fait partie de nos gros succès DVD parce que justement, ce support atteint ce public qui ne peut absolument pas voir ses films en salle. Aucun éditeur n’a envie de sortir les films de Garrel de peur de son côté intello et du faible public intéressé. Pourtant, c’est un auteur très pointu qui a toujours eu un public fidèle tout au long de sa carrière et de ses films. Pour des auteurs comme lui, le DVD représente réellement une deuxième chance. Le fait est que ses films sont magnifiques. J’entends plus la guitare a quand même obtenu le Lion d’argent à Venise et Les baisers de secours est un film effectivement impossible à voir en salle. Donc, on est très fier de donner une seconde vie à ce genre de films.

C. : Quel bilan tirez-vous de la collection ?
H.C. : Maintenant, la « marque» existe. Il a fallu longtemps pour qu’on rentre dans l’esprit des gens et des responsables de rayons dans les FNAC et chez Virgin. La collection est devenue une petite référence. Les gens savent ce qu’ils vont y trouver et les ayant-droits nous connaissent. Ils savent que nous sommes sérieux et que s’ils nous confient leurs films, même si on ne leur propose pas des châteaux en Espagne, ils vont pouvoir s’y retrouver parce qu’on va les soutenir très longtemps. Pour la salle du Panthéon, c’est pareil : elle répond à une volonté de fonctionner sur le long terme. La salle s’engage sur des mois de programmation et si un film ne fait pas un carton, on ne décroche pas le film pour autant.

C. : C’est un système de boucle en fait : vous commencez et terminez par la salle. Et il n’y a pas de véritable fin puisque le DVD permet une projection à domicile...
H.C. : Oui. Il y a une telle concurrence… C’est difficile de faire exister les films mais malgré tout on cherche à prolonger leur vie comme on peut, chez soi ou en salle. Ça, c’est super cinéphile, non ?!

 

Le site de Why Not : http://www.whynotproductions.fr/

Celui des Cahiers : http://www.cahiersducinema.com/

Celui du distributeur belge des DVD : http://www.twinpics.be/

Voir aussi les critiques de Mange ta soupe et Le Stade de Wimbledon de Mathieu Amalric et de Dieu seul me voit et Liberté Oléron de Bruno Podalydès

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